25 mars 2018

Philip Kerr, de l'émotion à la mémoire : morceaux choisis en forme d'hommage


Hier soir... Quel film regarder, vautrée au fond de mon canapé ? L'idée est venue toute seule, sans même que je la cherche vraiment. Les ailes du désir, de Wim Wenders. Berlin 1987, les anges parmi les humains, la mémoire, l'histoire, l'innocence perdue. Et ce vieil homme à la recherche de Potsdamer Platz, ce lieu autrefois si vivant au cœur de Berlin, devenu no man's land après la guerre, après le mur. Depuis le matin, Philip Kerr ne quitte pas mon épaule, comme le Bruno Ganz des Ailes du désir. Un bruissement d'ailes, l'impression d'une présence... Je n'ai jamais réussi à rencontrer Philip Kerr autrement que pour un échange de sourires, "bonjour, j'aime beaucoup ce que vous faites". Trop pris, trop pressé. Mais ses romans, et en particulier la série qui met en scène Bernie Gunther, font partie de ceux qui m'accompagnent et que je relis régulièrement. D'ailleurs, ce qu'on appelle la "trilogie berlinoise" faisait partie des premiers posts de ce blog. Une série qui compte désormais onze volumes disponibles en français, bientôt douze avec la publication en mai au Seuil de Bleu de Prusse, et, espérons-le, de la traduction de Greeks Bearing Gifts, qui sort en anglais dans quelques jours. En novembre 2013, Philip Kerr était l'invité du salon Paris Polar. Comment mieux lui rendre hommage  qu'en lui laissant la parole?


Les villes, de Berlin à Paris.
 Je suis allé souvent à Berlin, qui est très différent du reste de l'Allemagne. C'est une ville très indépendante, très difficile. Un peu comme Londres est très différent de l'Angleterre ou comme la province regarde Paris avec un peu de détresse. Hitler haïssait les Berlinois, il s'en méfiait, comme le Kaiser. C'est cela qui fait qu'une ville est grande : son indépendance d'esprit. Souvent, les Américains viennent à Paris et ils s'exclament : "Oh, ils sont si grossiers...". Moi je dis "Fantastique. Allez vous faire foutre, si vous n'êtes pas capables d'aimer une des plus belles villes du monde." C'est comme Londres, c'est une ville difficile, où les gens n'ont pas le temps... C'est à l'individu de s'entendre avec la ville, pas le contraire.

La position de l'écrivain

J'essaie de ne pas me laisser tenter par les rôles. Je pense que c'est dangereux. On voit tous ces gens très supérieurs, debout sur leur piédestal, qui parlent à la plèbe... Les écrivains ne sont pas différents des autres. Ils ont la chance d'avoir plus de temps à eux, ils peuvent s'asseoir pour réfléchir. Je suis toujours surpris quand on me parle de moi en tant qu'écrivain : je ne me perçois jamais comme une personne, séparée de mon écriture. Quand je fais des tournées, je m'excuse toujours de ne pas être Philip Kerr. Car la personne qui fait des tournées, des tables rondes et des conférences partout dans le monde n'est pas du tout la même que celle qui s'assoit à sa table et se met à écrire. Doctor Jekyll et M. Hyde en quelque sorte. Le Dr Jekyll reste à la maison à écrire, M. Hyde, l'égomaniaque, le monstre, part faire ses tournées! Il n'est jamais très à l'aise pour parler de lui car il sait que la vraie personne est chez elle, en train d'écrire. La vraie personne est quelqu'un d'antisocial, misanthrope, solitaire, timide, qui a beaucoup de peine à s'exprimer. C'est une schizophrénie. A chaque fois qu'on me demande de parler de mon travail, de mon rôle, j'ai l'impression terrible d'être un imposteur.


Les politiques, le passé et l'histoire
 Ce qui m'irrite chez les politiciens, c'est qu'ils n'apprennent jamais de leurs erreurs. Tony Blair, par exemple, n'a rien appris de l'histoire, puisqu'il nous a envoyés en Afghanistan, ce qui est aussi stupide que ridicule. J'aime écrire sur le passé et l'histoire, mais quand je peux, je parle du présent. Si on écrit de la fiction, on a beaucoup de chance, on s'en sort toujours ... C'est pourquoi les historiens détestent les romanciers.  J'ai écrit un livre où le héros est à Guantanamo, en 1954. Bien sûr, Guantanamo n'existait pas en 1954, mais moi, je sais qu'aujourd'hui, cela existe. Donc je ne peux pas parler de Cuba sans parler de Guantanamo, ce serait inexcusable. Car le problème de respect concernant les Américains n'a pas changé. Dans un sens, on constate que les gens se conduisent aujourd'hui comme ils se comportaient autrefois. Les véritables prisonniers de Guantanamo sont les Américains eux-mêmes. C'est l'histoire que j'aime, celle on on peut tirer des leçons pour aujourd'hui.

Les personnages historiques
 J'adore utiliser de vrais personnages, car je veux tout savoir d'eux. Je veux comprendre ces personnes, et écrire est souvent le meilleur moyen. Je dois les rencontrer en tant qu'êtres humains, sans quoi je ne peux pas en faire des personnages. Tous ces personnages réels que j'intègre dans mes romans me permettent de mieux comprendre l'histoire. La Deuxième guerre mondiale a probablement été le deuxième grand événement mondial depuis la Réforme, qui joue encore un rôle dans notre société d'aujourd'hui, 5 siècles plus tard. Ainsi, je peux mettre en lumière certains événements et expliquer certaines choses. Quand j'écris, je veux bien sûr donner du plaisir au lecteur, mais aussi jouer un rôle un peu didactique, pour expliquer comment les personnes ordinaires se comportent à telle ou telle époque.

Ecrire sur le nazisme
Quand on vit longtemps avec les nazis, il faut prendre une douche, se laver. Après les premiers livres, j'ai dû m'arrêter. C'est aussi la raison pour laquelle Bernie Gunther a de l'humour : c'est le seul moyen d'arriver à écrire sur cette période. Car les histoires sont très brutales, noires, déplaisantes. Donc le sens de l'humour était indispensable. Et puis, artistiquement, j'avais envie d'arrêter cette série qui marchait très bien pour faire quelque chose qui marche beaucoup moins  bien. C'est ma façon personnelle de me convaincre que je suis un véritable artiste.

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