21 janvier 2018

Martin M. Goldsmith, "Détour" : c'est la faute au destin...

Détour, publié en 1939 pour la première fois, a fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Edgar G. Ulmer six ans plus tard, et le film éponyme est devenu un grand classique du film noir, à tel point qu'il a peut-être occulté l’œuvre d'origine. Riche idée des éditions Rivages : Détour ressort en ce début d'année, et c'est une bonne nouvelle. Publié pour la première fois aux Etats-Unis dix ans après Moisson rouge de Dashiell Hammett et la même année que Le grand sommeil de Raymond Chandler, Détour se ressent encore de la grande crise de 1929, mais Goldsmith ne se prive pas de recourir à l'humour cynique qui deviendra la marque du grand Chandler. Martin M. Goldsmith, né en 1913, a publié trois romans avant de devenir scénariste pour le cinéma et la télévision. A la lecture de Détour, on comprend pourquoi... 

Détour se lit en une traite. Pour la bonne raison que Goldsmith, dès les premières pages, enchaîne son lecteur au sort d'Alexander Roth, violoniste de son état, amoureux de l'irrésistible Sue, "chorus girl" dans le cabaret new-yorkais où il joue. Alexander a du goût pour la musique classique, c'est un peu frustrant pour lui que de jouer dans un orchestre de club... Mais que ne ferait-il pas pour rester près de Sue ? Tout se passe bien, c'est l'amour fou, mariage en vue malgré l'opposition de la mère de Sue. Et puis Alex se fait virer : il a mis son poing dans la figure d'un client aux mains un peu trop baladeuses... Retrouver du travail à New York après ça relève de la gageure. 


Sue, de son côté, a des ambitions. Elle décide de partir tenter sa chance à Hollywood. Voilà Alex seul, pauvre, obligé de quitter son appartement. Il n'a plus rien à perdre et décide de rejoindre Sue. En stop, bien sûr, pas les moyens d'y aller autrement. Traverser le pays le pouce en l'air, ça n'est pas une sinécure. Alex n'a plus un sou en poche, il est sale, affamé. Il finit par céder à la tentation et par commettre un menu larcin qui lui vaut de passer quelques semaines en prison dans le Texas. A la sortie, il est dans un triste état. Mais la chance finit par lui sourire sous la forme d'une énorme Buick conduite par un dénommé Haskell, prêt à véhiculer Alex jusqu'à sa destination, Los Angeles. La chance ! Coup de frein. On est dans un roman noir, alors la chance, on n'y croit pas trop. Et on a raison... 

De l'autre côté du pays, Sue écrit à sa maman : tout va bien, elle a de beaux projets en vue, dans peu de temps elle sera une star. Sauf qu'en réalité elle vit dans une petite baraque minable en compagnie d'une coloc qui se lève à l'heure où elle, Sue, rentre de son boulot de serveuse. A Hollywood, le soleil ne brille pas pour tout le monde. Road movie aux péripéties dignes d'un film des frères Coen, Détour raconte le voyage d'Alex, son inquiétude grandissante au fur et à mesure qu'il découvre qui est son bienfaiteur, celui qui le véhicule et lui offre des steaks, à lui qui crève de faim. Au fil des kilomètres, et jusqu'à l'accident qui va faire basculer la vie d'Alex, ce dernier se fait des films, mais même en imagination, le pire n'est jamais sûr. Les bons sont vite résignés, les méchants sont vraiment méchants, mais personne n'en sortira indemne, et surtout pas l'histoire d'amour. 

Martin M. Goldsmith fait dans la simplicité stylistique, il maîtrise parfaitement la construction et les changements de perspective, d'un personnage à l'autre. Ses personnages restent lucides, même s'ils sont broyés dans une mécanique de malheur qui a tendance à s'emballer.. "Sans raison particulière, Dieu, le Destin ou je ne sais quelle force mystérieuse peut décider de s'acharner sur l'un d'entre nous.": la phrase finale résume bien cette histoire noire à souhait, parfaitement rythmée et où la psychologie des personnages est tout entière dans leurs actions et leurs réflexions, que Goldsmith exprime à coup d'interpellations du lecteur et de traits d'humour bien noir. La cadence du récit, le savoir faire du montage, le sens visuel,  augurent bien du destin de Goldsmith.

Une belle surprise et un regret : que Goldsmith ait préféré donner tout son talent à l'industrie du cinéma, nous privant ainsi d'une œuvre romanesque qu'on aurait aimé découvrir.

Martin M. Goldsmith, Détour, traduit par Simon Baril, préface de William Boyle, Rivages/Noir

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