4 novembre 2017

Romain Slocombe, L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski : le retour de l'abominable inspecteur

Léon Sadorski est de retour. Le héros le plus antipathique qui soit, dont on a fait la connaissance dans L'affaire Léon Sadorski (voir chronique ici) n'a rien perdu de sa hideuse bonhommie, ni de son écœurante ruse et de son monstrueux égoïsme... Pour ce deuxième volume, Romain Slocombe a choisi de situer son action pendant une des périodes les plus noires de l'occupation : les semaines qui précèdent la rafle du Vél d'Hiv. C'est dire que Sadorski va trouver là l'occasion, une fois de plus, de faire la preuve de son caractère immonde, et du même coup d'incarner en sa seule personne toutes les turpitudes dont nos compatriotes se sont rendus coupables...

C'est une des forces de la démarche de Romain Slocombe que de parvenir à nous entraîner dans une intrigue à multiples facettes, de nous pousser à tourner les pages jusqu'au bout, tout en nous mettant face à notre histoire dans ce qu'elle a de plus terrible. Comment diable fait-il pour déclencher chez nous tous les réflexes de l'amateur de roman noir et d'intrigue, tout en nous incitant à réfléchir, à nous demander comment nous, lecteurs, nous serions comportés dans ces circonstances-là, et à nous regarder dans le miroir, en proie aux doutes les plus terrifiants ?
La réponse réside sans doute tout bonnement dans son savoir-faire d'écrivain. Romain Slocombe est suffisamment virtuose pour raconter son histoire à la troisième personne, tout en impulsant à ses dialogues, en particulier, une vérité confondante et troublante. Tellement troublante qu'il a ajouté au début du roman un avertissement destiné à préciser une bonne fois pour toutes que "ni l'auteur ni l'éditeur ne cautionnent les propos tenus par le personnage principal de ce livre." Tout au long du récit, le narrateur raconte, rapporte les propos des protagonistes, mais à aucun moment il ne porte de jugement sur les mots qui viennent sous sa plume. Et c'est tellement plus fort que s'il s'excusait d'avoir à écrire ces choses-là...

Nous sommes donc en juin 1942. Le roman commence par la reproduction d'une circulaire officielle adressée par le Directeur de la Police Judiciaire et le Directeur de la Police Municipale à tous les commissionnaires de la voie publique et commissaires de banlieue. Le document précise les modalités de l'application de la 8e ordonnance relative au port de l'étoile jaune... Désormais, tous les juifs devront porter "l'insigne juif"; ils devront, par exemple, se rassembler dans la queue des rames de métro.Justement, Léon Sadorski est là, dans le métro, sur un strapontin, et il fixe des yeux  la jeune femme à l'étoile jaune qui vient de monter à La Motte Picquet. Sadorski enquête, il est déguisé en employé du gaz... Cette fille, il est persuadé de l'avoir déjà rencontrée. C'était au printemps, place Dauphine. La jeune fille lisait Paul Valéry. Avec sa jupe de jeune fille modèle et son corsage blanc, il l'avait trouvée à son goût. Car on se rappelle à quel point Sadorski aime les jeunes filles...  Cette fois, la jeune fille porte une sage jupe grise et une veste à boutons de nacre. Avec, à son revers, une étoile jaune mais aussi un bouquet bleu blanc rouge. Et, au bord de ses paupières rougies, des larmes qui perlent. Sadorski ne dit rien, il fulmine. Contre tous ces juifs, contre toute cette jeunesse swing, contre tous ceux qui sont contre le port de l'étoile jaune, ces traîtres à la France. 

Et puis il y a la petite Julie, la voisine des Sadorski. Juive, elle aussi. Mais dont Sadorski est amoureux. Comment va-t-il se débrouiller pour naviguer entre son désir pour Julie, son envie de la protéger, ou plutôt de la garder près de lui, et sa mission d'inspecteur des renseignements généraux ? Entre le moment où débute le roman et le 16 juillet, premier jour de la rafle avec son effroyable mission de mort collective, une suite de morts individuelles violentes va jalonner le parcours de Léon Sadorski, avec ses lâchetés, ses trahisons. Les péripéties qui rythment cette intrigue complexe et passionnante vont révéler, progressivement, d'autres aspects toujours plus sombres de la personnalité de ce personnage à la fois singulier et emblématique. Les jours qui précèdent la rafle sont décrits de façon impitoyable, avec la violence et le cynisme inouïs des protagonistes, la bêtise insondable, la lâcheté des hommes, leur capacité infinie à apaiser leur conscience en se proclamant patriotes... Romain Slocombe avance, déploie une intrigue complexe, livre un récit à la fois très documenté et parfaitement construit. Et surtout réussit ce tour de force : mettre sa fiction au service de l'histoire, et son récit prenant au service d'une vigilance plus indispensable aujourd'hui que jamais, 

Romain Slocombe, L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski, "La bête noire" Robert Laffont

1 commentaire:

  1. Les événements décrits dans ce livre sont connus et on fait l'objet d'une littérature abondante. Mais ce qui est nouveau c'est la vision au niveau d'un collabo convaincu, personnage totalement détestable. Je reconnais à l'auteur le talent pour décrire la noirceur humaine mais je n'ai pas apprécié l'absence de personnage positif. Il n'y a que des victimes et des bourreaux.

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