7 novembre 2017

Åke Edwardson, "Marconi Park" : drôle de printemps pour Erik Winter

Cela faisait un moment que je n'avais pas pris de nouvelles du commissaire Erik Winter et de sa bonne ville de Göteborg, en Suède. Dans Marconi Park, douzième épisode de la série, on le retrouve dans un état... incertain. Dans sa précédente enquête, La maison du bout du monde, il reprenait son activité en plein hiver. Pendant deux ans, il s'était arrêté après avoir manqué se noyer, et avait passé ces deux années auprès de sa femme et de ses deux filles, à Marbella. Là, nous sommes au printemps, et Erik Winter vit toujours seul à Göteborg, sa famille est restée au soleil... Toujours en proie à de pénibles crises d'acouphène, l'ami Winter, commissaire snob et névrosé, trouve un semblant de salut dans la musique et le whisky hors d'âge. Le jazz, sa grande passion. Et puis... Michael Bolton. Eh oui, le crooner romantique à la crinière de lion. Etonnant pour quelqu'un qui considère la pop et le rock comme de la musiquette, et ne jure que par Coltrane. Tout le monde se moque de sa nouvelle passion, peu lui chaut. Bolton et ses chansons d'amour, Bolton et ses mélodies accrocheuses, Bolton le solitaire amoureux correspond parfaitement à l'état d'Erik Winter. La prochaine affaire va le tirer, bon gré mal gré, de ces sirupeux abandons, et le plonger dans la dure réalité.

La première victime est retrouvée près de la Maison de la culture de Frölunda, en banlieue de Göteborg. "Alentour, tout n'était que béton et verre, vieux béton, béton neuf." Description parfaite du quartier de Marconi Park, qui n'a de parc que le nom. L'homme, un quadragénaire, a les mains attachées dans le dos, la tête fourrée dans un sac en plastique, le pantalon et le slip baissés jusqu'aux genoux. Sur le cadavre, un morceau de carton et une lettre peinte à la peinture noire : "R". Winter, l'ex-plus jeune commissaire du pays, a maintenant 53 ans, et il a du mal avec son âge... C'est avec son équipe habituelle qu'il va se lancer sur les traces d'un assassin qui ne va pas tarder à se révéler être un tueur en série. L'enquête va le balader de témoin en familles plus ou moins éplorées, et l'envoyer jusqu'à Stockholm, où il va devoir faire la preuve que, malgré ses 53 ans, il est capable de poursuivre un jeune homme en vélo à travers la ville... et de le rattraper. Une poursuite épique au cours de laquelle l'auteur lâche les chevaux : rien ne nous est épargné des souffrances physiques d'Erik Winter, et l'itinéraire des deux hommes à travers la ville est décrit avec une précision redoutable. Quant au rythme de la course, il est digne d'une poursuite à la "Bullitt" ! Un grand moment de solitude et de dépassement de soi pour notre quinquagénaire préféré, qui aura droit, à la fin du roman, à un autre moment de bravoure que nous tairons pudiquement pour ne pas gâcher la surprise.

Qu'ont donc en commun les quatre victimes, trois hommes et une femme, du tueur en série? Hormis leur âge - ils ont tous autour de la quarantaine -, apparemment pas grand-chose. Mais Erik Winter n'est pas homme à s'en tenir là. Si le présent ne suffit pas, il ne reste qu'une solution : remonter le temps. Trouver le lien. Comprendre la vengeance, trouver l'être blessé qui, des dizaines d'années après la blessure, décide de faire justice à sa manière. Dans une enquête comme celle-là, Erik Winter est l'enquêteur parfait. Le passé, il connaît... Les blessures aussi. Peut-on parler d'une méthode Winter? Probablement pas : avec ce commissaire-là, on est au pays de l'intuition, des rapprochements saugrenus, des coqs-à-l'âne qui n'en sont pas.

On aurait tort de s'imaginer qu'on a affaire à la énième histoire de serial killer. Ce serait compter sans le style particulier de Åke Edwardson qui s'en donne à cœur joie : humour noir, dialogues en forme d'échanges de ping pong, souvenirs, métaphores : au fil de la lecture, on lève parfois les yeux en se demandant si on a bien lu ce qu'on vient de lire. Edwardson sollicite son lecteur, ne lui mâche jamais le travail : à nous de combler les manques, de confirmer les liaisons, de comprendre à demi-mot, en bref de nous faire les complices d'Erik Winter. Edwardson n'a pas son pareil pour tirer parti des lieux, de leur géographie et de leur histoire. L'évolution de la ville de Göteborg, de sa sociologie, de son architecture, jouent un rôle capital dans l'ambiance du roman et la peinture qu'il fait d'une société malade, où la politique est largement dépassée par l'économie. Bref, pour l'idéal scandinave, on repassera ! Quant à l'état du héros, il restera, comme d'habitude, incertain. Son escapade de deux jours auprès de sa famille ne lui apportera pas de solution, le soleil de Marbella, qui, vu de loin, lui paraît comme un idéal de vie, ne lui donne pas vraiment la lumière. Peut-être la vie de famille sans histoires n'est-elle pas pour lui, peut-être en est-il incapable... Affaire à suivre.

Åke Edwardson, Marconi Park, traduit par Rémi Cassaigne, Le Masque - également disponible en 10/18

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