30 mars 2017

Valerio Varesi, "La pension de la via Saffi" : Soneri vise au cœur, et fait mouche

Le deuxième roman d'une série est souvent décisif pour un lecteur. Avec son premier ouvrage publié en français, Le fleuve des brumes, Valerio Varesi avait réussi à titiller sérieusement la curiosité des amateurs d'enquêteurs en série. Là, inutile de lanterner, il enfonce le clou, et ça ne fait pas mal, bien au contraire... 

Nous voilà donc de retour à Parme. L'une des spécificités des romans de Varesi, c'est qu'ils se passent dans le nord de l'Italie : on est donc loin des clichés solaires, oliviers, ciel bleu brûlant, embouteillages romains, mystères florentins, mafia, camorra... La pension de la via Saffi, en plus, a le bon goût de se dérouler pendant la période de Noël : brume, gel, froid, vent rivalisent pour concocter une atmosphère propice aux mystères qui vont plonger le commissaire Soneri dans d'insondables tourments.


Via Saffi, Parme, la nuit
Parme. Via Saffi, au numéro 35, vit la vieille Ghitta Tagliavini, propriétaire d'une pension à l'ancienne. Sa voisine, Fernanda Schianchi, est inquiète : cela fait plusieurs jours qu'elle n'a pas vu Ghitta, et ça n'est pas normal. A tel point qu'elle s'en vient au commissariat confier ses angoisses à Soneri. C'est que, pour le commissaire, la pension Tagliavini n'est pas tout à fait un lieu comme les autres. C'est là qu'étudiant, il a vécu ses jeunes années. C'est là qu'il a connu sa femme Ada, morte en donnant naissance à leur enfant, qui lui non plus ne survivra pas. C'est là qu'à l'époque logeaient les étudiants désargentés... Une époque agitée, entre terrorisme et militantisme, les idéologies se percutent, les générations aussi, l'atmosphère est trouble, parfois explosive. A son corps défendant, Soneri va se retrouver plongé dans son passé,  confronté à des souvenirs qu'il aurait peut-être mieux valu ne pas réveiller. A mi-chemin entre nostalgie et mélancolie, le commissaire va devoir enquêter, car Ghitta est morte assassinée. Mais pour débusquer la vérité au temps présent, il va bien falloir se résoudre à se confronter au passé...

La pension Tagliavini a bien changé. Là où autrefois logeaient les étudiants, Ghitta accueille aujourd'hui les couples en mal de nid d'amour... Les temps sont durs pour tout le monde. La via Saffi, elle non plus, n'est plus ce qu'elle était. Seul le bar pakistanais parvient à maintenir un semblant de vie dans la petite rue de la vieille ville. Non loin de là, le Milord, restaurant où Alceste sert à ses habitués en général, et à Soneri en particulier, sa cuisine traditionnelle odorante et savoureuse, de ces plats qui tiennent au corps et remontent le moral : tortelli aux blettes, culatello arrosé de bonarda. Mais cette fois, même la cuisine du Milord ne parviendra pas à requinquer Soneri. Les souvenirs remontent, l'étouffent, et il a bien du mal à faire bonne figure auprès d'Angela... D'autant plus qu'il se fait souffler sous le nez les aspects les plus sombres de son enquête : ce qu'il découvre ne plaît pas en haut lieu, il a soulevé des couvercles qui révèlent une cuisine nauséabonde, et ses supérieurs entendent bien tirer les marrons du feu. Bref, pour Soneri, c'est l'enquête de toutes les remises en question personnelles, car il y découvrira, en plus des coupables, des secrets bien cachés sur sa propre vie.

On avait déjà remarqué le style de Valerio Varesi dans Le fleuve des brumes, son rythme très personnel. Dans La pension de la via Saffi, le plaisir de lecture est, disons-le carrément, décuplé. On a la sensation que ce livre-là lui a permis d'épanouir une écriture à la fois poétique et acérée, il y développe des images oniriques, des comparaisons audacieuses, des descriptions précises, des personnages secondaires soignés, même s'ils ne jouent dans l'histoire qu'un rôle fugitif. Et la ville, sa ville : voilà un auteur qui sait faire le portrait d'un quartier, d'une rue comme s'il s'agissait d'une personne, avec ses rides, ses expressions, l'emprise de l'âge et de l'évolution du monde. Varesi sait aussi jouer sur la double dimension temporelle et spatiale : le passé des hommes, caché dans celui de la ville, embusqué au coin d'une ruelle. La ville et les hommes, l'histoire personnelle qui débouche sur l'histoire d'un pays, Valerio Varesi réussit merveilleusement cette synthèse qui donne toute sa dimension à la littérature, policière ou non. Quant aux personnages principaux, Soneri et Angela, ils prennent dans ce roman l'épaisseur et le mystère qui font d'eux de véritables êtres humains pour lesquels le lecteur éprouve de l'empathie, de la curiosité, de  l'amitié. C'est que la relation entre ces deux-là est complexe... Un savoir-faire, rare, qui fait qu'on a envie de lire très vite la suite, le troisième roman de la série, et qui fait entrer Varesi, définitivement, dans la cour des grands. A l'année prochaine...

Valerio Varesi
, La pension de la via Saffi, traduit de l'italien par Florence Rigollet, Agullo éditions

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