4 décembre 2016

Theodor Kallifatides, "Juste un crime" : en lenteur et profondeur

Theodor Kallifatides, écrivain suédois d'origine grecque, est l'auteur, entre autres nombreux romans, d'une trilogie policière autour de l'enquêtrice Kristina Vendel. Juste un crime est le premier épisode de cette trilogie, et on y fait la connaissance d'une femme de 33 ans, responsable de la brigade des crimes violents de la police de Huddinge, tout près de Stockholm. Les premières pages racontent un concert auquel elle assiste dans une église. Un octet de Mendelssohn, un premier violon fascinant, une première violoncelliste talentueuse. Nous n'oublierons pas de sitôt ces deux personnages-là, car ils joueront un rôle capital dans le drame qui va suivre.
On vient de retrouver un cadavre non loin de là, près d'un pont. Kristina Vendel est attendue sur place par Thomas Roth, son second. Le cadavre a été découvert par Ismail et son neveu Kemal, surpris en pleine partie de pêche par l'apparition d'un sac en plastique noir flottant dans l'eau. Maria Valetieri, l'inspectrice de service, est déjà sur place en compagnie de son collègue Östen Nilsson. Comme pressenti, le cadavre est celui d'une femme... 
Kristina Vendel. Drôle de bonne femme, qu'on a du mal imaginer flic. Fille d'une mère pianiste obligée de renoncer à sa prometteuse carrière pour raisons de santé et d'un maître d'échecs professeur de latin : "Elle n'aurait pas dû entrer dans la police. Elle n'aurait pas dû se marier. Elle n'aurait pas dû être une femme. Je n'aurais peut-être pas dû naître." Voilà, en quatre phrases, qui en dit long sur le personnage qu'a concocté Theodor Kallifatides. On est loin des stéréotypes... et l'auteur continue sur sa lancée avec ses autres personnages, qu'il nous décrit en creux, à travers leurs faiblesses, leur détresse et leurs démons.

L'histoire tout entière parle des femmes : Kristina, Maria mais aussi la malheureuse victime, sa mère, sa sœur. Des destins tragiques, des vies de victimes, sans espoir, sans brillance... Une incursion jusqu'en Estonie, dans une Europe où les frontières, de plus en plus floues, laissent passer la pauvreté, la clandestinité, la prostitution et les trafics. Avec, en première ligne, les femmes à la recherche d'une vie meilleure. Le roman et l'enquête, découpés en chapitres courts, prennent leur temps, l'auteur s'attarde sur chacun des protagonistes de façon sensible, originale et vagabonde, livre en passant quelques réflexions bien senties sur la vie des humains : 

"Les couples qui ne s'aiment plus parlent toujours d'autre chose."
"Thomas n'avait jamais compris pourquoi les femmes se laissaient conquérir par des grandes gueules. On disait dans le temps que celui qui crache en l'air se le prend sur la barbe. Aujourd'hui, c'est différent. Si on crache en l'air, ça retombe sur une femme",
"... presque aucun artiste n'a le talent de savoir se cacher. Lorsqu'ils se cachent, c'est juste pour être retrouvés."
 
Un texte empathique, lucide, joliment écrit où l'intrigue le dispute à la préoccupation humaniste, voire philosophique : une lecture à la fois divertissante et émouvante, que demander de plus ? Lire les deux volumes suivants de la trilogie, sûrement !

Theodor Kallifatides, Juste un crime, traduit du suédois par Benjamin Guérif, Rivages / Noir
 

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