1 septembre 2016

Michel Embareck, "Jim Morrison et le diable boiteux" : la nostalgie fait mal

On connaît le goût prononcé de Michel Embareck pour la musique, et particulièrement le blues et le rock américains. De son propre aveu, ce qui se passait de l'autre côté de la Manche l'intéresse nettement moins... Il fait la preuve ici à la fois de son érudition en la matière, de sa passion pour la chose et d'une imagination réjouissante. Et en profite au passage pour mettre un bon coup de pied au derrière de la nostalgie et de son avatar contemporain, vous savez, ce qu'on appelle l'esprit « vintage ».

L'histoire que Michel Embareck va nous raconter passe par plusieurs points de vue. On commence fin 1968 avec Clara Morrison, la mère de Jim qui n'a pas eu de ses nouvelles depuis un bon bout de temps. Et ça n'est pas plus mal, car quand il donne de ses nouvelles, elles sont rarement bonnes. Là, Jim est dans le coin, en Floride, et il se propose de venir regarder le Elvis Show à la télé avec sa maman, en bon fils qu'il est. Quand il arrive, sale comme un peigne, l'haleine chargée, c'est sûr qu'on est loin de l'image du fils modèle tel que se l'imagine Mme Morrison mère, qui se demande ce qu'elle a bien pu rater. 


Jim Morrison n'a plus que trois ans à peine à vivre, et Michel Embareck va faire en sorte que son lecteur en ait pour son argent. Et surtout on comprend très vite qu'il ne va pas nous faire le coup du poète maudit... Embareck ne s'embarrasse pas des précautions d'usage quand il s'agit de parler d'un mythe du rock, tour à tour sex symbol et vague intellectuel auteur de vers de mirliton. En revanche, il livre un portrait cruel et réaliste, non dépourvu de tendresse mais surtout extrêmement lucide, de celui dont la tombe, aujourd'hui encore, attire au Père Lachaise tout ce que le monde compte de fans enamourés et plus ou moins transis.

Et puis il y a le diable boiteux, Gene Vincent, mort quelques mois avant Morrison. Gene Vincent, une carrière fulgurante, une fin de vie minable, et une rencontre avec Jim Morrison qui éprouvait pour lui une authentique admiration, et qui s'inspira largement de sa tenue sur scène – cuir noir et provocation. Embareck se sert de la rencontre comme d'un tremplin pour son récit, un récit où l'intrigue compte moins que la vision, celle d'une période charnière de l'histoire de la musique et de la société occidentale. Il convoque, à la narration, un animateur de radio octogénaire, le Midnight Rambler – les amateurs des Stones apprécieront - qui a eu ses heures de gloire et a connu tous ceux qu'il fallait connaître. Et aussi un certain Vincent, plus connu sous le nom de Alice Cooper, qui fait aujourd'hui encore parler de lui en annonçant sa candidature à la présidence des Etats-Unis, mais qui à l'époque était plus connu pour son look gothique avant l'heure, son goût pour les serpents et les araignées, et son rock post-adolescent, grand-guignolesque et non dépourvu d'un certain humour. La citation clé du livre, c'est dans sa bouche qu'Embareck la place : « Le rock n'est pas mort. Loin de là. C'est le public qu'est mort. Mort d'une overdose de nostalgie. » Nous y voilà.

Michel Embareck va donc nous inviter à le suivre dans une « soft parade » qui zigzague allègrement entre le réel et la fiction, en profitant au passage pour semer un sérieux doute sur les circonstances de la mort du Roi Lézard à Paris, en décembre 1971. Mais pour être honnête, ce n'est pas là l'essentiel. Ce livre est une vaste entreprise de démystification, à commencer par le « mythe Morrison », cinéaste raté fasciné par une Nouvelle vague qu'il ne connaît pas, mais dont il a entendu parler, par les poètes français après lesquels il court dans sa propre poésie, dont on comprend très vite qu'Embareck ne la tient pas en haute estime. A vrai dire, certains passages pourraient même laisser penser que Morrison était en fait un être charismatique doublé d'un quasi-crétin. Il fallait oser. Côté Gene Vincent, l'approche est plus tendre pour cet homme affligé d'un handicap physique qui le tourmentera toute sa courte vie, ce pionnier au talent sans doute trop audacieux pour son époque. Notre auteur ne fait pas forcément dans la nuance : parlant du rock français de l'époque, il met dans le même sac Triangle, Martin Circus et... Magma. Ca se discute, comme on dit... Mais la démystification se fait sur une bande son d'un goût irréprochable, et restitue le contexte de l'époque avec une minutie et un sens de l'observation quasi-cinématographique. La mémoire et la nostagie, ça n'est pas du tout pareil...

Le livre est tout entier animé par la passion, par la vie même de celui qui a vécu toutes ces années-là dans le monde de la musique, bien loin de la vallée des roses à laquelle les nostalgiques aimeraient bien croire... Mais le réel vu par Embareck, ciselé en une fiction où le lecteur se laisse emporter avec enthousiasme et émotion, est bien plus intéressant que les sornettes « vintage »...


Michel Embareck, Jim Morrison et le diable boiteux, L'Archipel

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