17 septembre 2016

Ian Rankin, "Tels des loups affamés" : la maturité sied à John Rebus... et à son auteur

Tels des loups affamés est un roman marquant pour ses lecteurs et son auteur, Ian Rankin, puisque nous avons là entre les mains rien moins que la vingtième enquête de l'inimitable inspecteur John Rebus. Ajoutons à cela que l'année prochaine, 2017, sera le trentième anniversaire de la naissance du personnage emblématique du "Tartan noir" :  libations et émotions en perspective... En 1987 paraissait donc le premier John Rebus, Knots and Crosses, qui n'arrivera jusqu'à nous qu'en 2004 sous le titre L'étrangleur d'Edimbourg... Que de chemin parcouru par un héros et son auteur! Car s'il est bien un romancier qui dément la vieille croyance selon laquelle l'auteur de "séries" finit par se faire cannibaliser par son héros, jusqu'à en devenir stérile, c'est bien Ian Rankin.


Le roman commence avec... un peu de musique, et cela ne surprendra pas les fans de Ian Rankin. Cette fois, The Associates créent l'ambiance, avec le morceau Even Dogs in the Wild qui donne son titre original au roman, et dont les paroles, qui évoquent les enfants qu'on n'a pas protégés, vont résonner avec d'autant plus d'acuité une fois qu'on aura lu ce roman riche, puissant et particulièrement réussi.



Quand nous avons quitté John Rebus l'année dernière, il avait été provisoirement réintégré dans la police d'Edimbourg. Aujourd'hui, il a repris sa liberté, poussé par la limite d'âge... Il est maintenant détective privé, ou plutôt consultant. Et sa vieille complice Siobhan ne tarde pas à avoir besoin de lui. Un fantôme du passé, Big Ger Cafferty, le "meilleur ennemi" de Rebus, vient de faire l'objet d'une tentative d'assassinat à son domicile d'Edimbourg... Ca ne sent pas bon, d'autant plus que deux malfrats de Glasgow, les Stark père et fils, viennent de débarquer à Edimbourg, prêts à en découdre et à étendre leur territoire, sous la surveillance d'une équipe de la police glaswégienne. Pendant ce temps-là, Siobhan Clarke enquête sur le meurtre d'un juge, Lord Minton... Bref, il y a largement de quoi occuper sainement un Rebus qui n'a pas son pareil pour débusquer les vieux secrets, réveiller les rancœurs dormantes et semer la pagaille...

Chez John Rebus (Arden Street, Edimbourg)



Les ex-quartiers généraux de la police d'Edimbourg, Fettes Avenue



La plage de Portobello, à Edimbourg, paradis des propriétaires de chiens, évoquée dans le roman

Crépuscule à Edimbourg
Guerre de territoires, confrontation de générations et de méthodes aussi : Malcolm Fox est là, et bien là. C'est lui qui est chargé de surveiller les Stark, et il a fort à faire. Rebus, de son côté, va se charger de Cafferty : il le connaît tellement bien qu'il lit en lui comme dans un livre ouvert. Et pourtant, l'homme n'est guère bavard, et il a tellement le culte du silence et du secret qu'il s'en va se cacher dans un quartier d'Edimbourg où il sera moins facile à trouver pour les Stark... mais pas pour Rebus.

Rebus vieillit, c'est un solitaire, fidèle à ses anciennes méthodes qui, une fois de plus, font leurs preuves : "Deux heures de travail de détective à l'ancienne lui avaient suffi. Le monde en ligne pouvait se coller ça dans sa vaporette et souffler de l'air." Ce que l'équipe va découvrir dépasse de loin ce qu'elle imaginait : pour mettre à nu l'invraisemblable et répugnante vérité, il va falloir remonter dans le temps, réveiller des souffrances terribles, révéler l'existence d'anciens réseaux intouchables qui choisissaient leurs victimes parmi les plus vulnérables.

Rankin sait se préserver du phénomène de lassitude engendré par les séries qui durent trop longtemps. C'est encore mieux que cela : Ian Rankin écrit de mieux en mieux, ça n'est rien de le dire. Le rythme est là, la complexité s'installe, les dialogues sont ciselés, tellement forts qu'on a parfois envie de les lire à voix haute. Et c'est avec virtuosité que notre auteur préféré juxtapose des intrigues parallèles et se permet d'aborder de front, et avec efficacité, des questions graves. Sa vision des rapports humains est de plus en plus subtile,  sensible et intelligente. Dans Tels des loups affamés, l'émotion est omniprésente, la finesse psychologique au rendez-vous : insidieusement, Malcolm Fox prend sa place, et elle se trouve pile entre John Rebus et Siobhan Clarke. Nombreux sont les lecteurs fidèles qui auraient bien voulu d'une histoire d'amour entre Rebus et Clarke : mais entre ces deux-là,  c'est bien autre chose qui se joue. On découvre dans ce roman un Rebus qui veille au grain, s'inquiète de la relation entre les deux flics, mais pas pour les raisons qu'on imagine... Livre après livre, le personnage de Malcolm Fox prend de l'épaisseur et de la complexité : ici, à travers sa relation avec son père, que Rankin dévoile avec sobriété et lucidité. Quant au duo Rebus - Cafferty, il trouve là une sorte d'apothéose ambiguë et poignante, inscrite dans le temps qui passe et qui ne pardonne rien.

Tels des loups affamés est le fruit d'un bel équilibre entre enquête complexe, action menée tambour battant,  construction psychologique de haut vol. Et si on ajoute que la vision politique n'est jamais bien loin, on aura compris que, décidément, la maturité sied à Ian Rankin ...

Ian Rankin, Tels des loups affamés, traduit de l'anglais (Ecosse) par Freddy Michalski, Le Masque

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