10 juin 2016

Jon Bassoff, "Corrosion" : le titre parfait

Premier roman d'un natif de New York vivant dans le Colorado, Corrosion , comme son titre l'indique, attaque d'emblée la peau superficielle de son lecteur, puis fait son chemin, lentement, sûrement, vers l'intérieur, abattant sur son passage tous les barrages que ledit lecteur a pu dresser au fil de son expérience, semant le désordre dans toutes ses certitudes, grillant tous les feux rouges, roulant à tombeau ouvert vers son destin, sa fatalité, son ultime apocalypse.

En 228 pages où ne subsiste que l'essentiel, Jon Bassoff, plus que nous raconter l'histoire de ce vétéran de la guerre en Irak défiguré, revenu au pays par fatalité plus que par nostalgie ou par choix, nous entraîne avec lui vers une catastrophe inéluctable, on le sait dès le début... Mais ce qui est intéressant, c'est, justement, ce qui survient entre le début et la fin du livre : ce par quoi l'auteur choisit de nous faire passer, nous transformant en équilibristes, en randonneurs des mots, en aventuriers de la page imprimée. Il ne nous ménage pas ...

Ce qu'on sait, en tout cas, c'est qu'une panne de voiture l'amène à Stratton, ville paumée à quelques kilomètres de la Montagne, dans le Vermont. Une petite pensée au passage pour l'office de tourisme du lieu, qui sera sûrement ravi de la présentation qu'en fait Bassoff : "Juste des bâtiments en brique et des bungalows décrépits et des bicoques de pauvres, le tout posé au hasard par Dieu après deux semaines de beuverie." Voilà pour l'ambiance. Passons aux humains : un barman aux cheveux jaunes, une grande rousse maigre au nez tordu, en butte aux invectives d'un type moustachu et bouffi qui la traite de sale pute et ne tarde pas à joindre le geste à la parole. Et ça, notre héros, Joseph Downs, ne le supporte pas. Une seule réaction possible : éclater une bouteille de bière sur la tête de la brute.  Voilà comment Joseph Downs se fait des amis. Et ça ne fait que commencer. La grande rousse maigre au nez tordu, Lilith, va faire main basse sur l'affect en friche de Joseph, et ça va mal se terminer, comme toutes les histoires d'amour. Beaucoup plus mal que vous ne pouvez l'imaginer.

Jon Bassoff (c) Jay Halsey

Et puis, non loin de là et 7 ans plus tôt, il y a Benton Faulk, adolescent perturbé obsédé par sa BD préférée, Au bout du combat et son héros le Soldat, psychopathe farouchement anti-arabes. Coincé entre un père franchement dérangé, scientifique raté qui passe le plus clair de son temps à faire des expériences sur des rats, et une mère qui souffre de la chorée de Huntington, le garçon n'a qu'une bouée de secours dans le monde des humains : la belle Constance, serveuse au bistrot du coin, qui a la mauvaise idée d'être gentille avec lui... Quand on est gentil avec Benton, il faut être prêt à en payer le prix. Le prix fort...

Y aurait-il deux histoires dans Corrosion? Oui et non. Car les destinées de ces deux héros abîmés vont se croiser, bien sûr, pour le pire. Mais il y a bien davantage que deux histoires croisées dans ce livre : il y a le portrait d'une Amérique à vif, perdue, déchirée, d'une Amérique bien éloignée des traders et des pop stars. Il y a l'histoire d'une Amérique qui se meurt dans la douleur au son de la musique country. Il y a une écriture sans détours, un humour à faire pleurer, des clins d’œil littéraires, un pessimisme radical, et, malgré tout cela, une empathie bouleversante pour des personnages éloignés des clichés, porte-drapeaux de la souffrance, de la misère et de la solitude. Une sacrée expérience.

Jon Bassoff, Corrosion, traduit de l'américain par Anatole Pons, Gallmeister

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