22 novembre 2015

Paris polar 2015 : le festival parisien vous attend !

Comme tous les ans à la même époque, la mairie du XIIIe accueille le festival des littératures policières. Cette année, la façade arbore, en plus de l'affiche du festival, une banderole "Fluctuat nec mergitur" de circonstance. Les auteurs sont au rendez-vous, les tables rondes aussi. Il vous reste la journée de dimanche pour venir les rencontrer, les écouter, leur parler. Le programme est ici. Les auteurs invités : Henri Bonetti, Thomas Bronnec, Hervé Claude, Didier Decoin, Benjamin Guérif, Marin Ledun, Jérôme Leroy, Dominique Manotti, Nicolas Mathieu,  Léna Mauger, Bernard Minier, Colin Niel, Carlos Salem, Dominique Sylvain, Martyn Waites, Eric Yung et de nombreux photographes et illustrateurs. Jolie affiche ! 

Cet après-midi, Julien Védrenne animait une table ronde baptisée "Polar et politique", qui réunissait Nicolas Mathieu, Marin Ledun et Carlos Salem. Morceaux choisis.  
Nicolas Mathieu, Marin Ledun, Julien Védrenne et Carlos Salem

         

Marin Ledun : "Dans mon dernier roman, l'enquêtrice de police qui va enquêter au Pays basque était à Madrid pendant les attentats, qu'elle a vécus presque dans sa chair. Pendant 24 heures, à l'époque, le gouvernement espagnol a affirmé que c'était l'ETA qui était à l'origine des attentats. Il s'est avéré que c'était Al Qaida. Et au moment où Juan Carlos a passé la main à son fils, il a de nouveau affirmé qu'en dépit des preuves, il ne pouvait pas s'empêcher de penser que l'ETA y était pour quelque chose. Une formidable réécriture de l'histoire..."
(...)  J'ai travaillé pendant sept ans au département Recherche et développement de France Télécom : là-bas, les scientifiques purs et durs considéraient que les gens comme moi travaillaient dans la "science molle". Mais je n'ai pas du tout cette impression. Donc, passer des sciences molles au roman noir violent, ça n'est pas vraiment ma situation. Si mes romans sont extrêmement violents, on n'y trouve ni serial killers, ni petites filles découpées en morceaux dispersés aux quatre vents qu'un profiler doit retrouver. La violence est beaucoup plus sociale et économique, comme chez Nicolas Mathieu. Cette violence peut être un licenciement, une délocalisation. Donc j'appartiens à une famille du roman noir violent et social.

Nicolas Mathieu : Mon roman Aux animaux la guerre parle d'une petite vallée dans les Vosges. Quand l'entreprise locale qui représente tout en termes d'emploi ferme, que se passe-t-il ? C'est de cela que je voulais parler. Quand cette violence sociale-là survient, à quel moment passe-t-on à la violence tout court? Derrière l'idée de roman politique, il y a celle de roman engagé, très manichéen, où l'auteur tape à tours de bras sur l'adversaire. Ce n'est pas mon cas. Mon roman est politique au sens il parle de comment les gens vivent ensemble, comment ils gèrent ce qui leur est infligé. Dans l'histoire, les patrons ne sont pas vraiment mieux lotis, ils subissent la pression terrible des actionnaires. J'ai voulu faire le constat de ces entrelacs de conditionnements et de forces qui contraignent les hommes sans qu'il y ait vraiment de pilote dans l'avion.
Ce qui m'intéresse, au-delà du politique, c'est les gens. La ligne entre le bien le mal, elle passe entre les hommes : "les salauds sont de braves gens comme les autres." J'ai été très influencé par des séries télé comme les Sopranos, où l'on a le temps d'approfondir les personnages, de voir toutes leurs facettes, leur ambivalence. Romans et séries télé permettent de dérouler les choses, de regarder le temps qui passe.

Carlos Salem :  Je ne construis pas des personnages picaresques, c'est juste ma manière à moi de raconter des histoires. J'ai vraiment connu dans ma vie des personnages incroyables. Un exemple. Quand j'avais 19 ans, je me suis marié avec une hypocondriaque. Elle s'est retrouvée enceinte et, à cause de sa maladie, elle a perdu l'enfant. Elle a consulté un médecin, et puis elle a perdu un deuxième enfant. Quand j'ai voulu la quitter, elle a menacé de se suicider. A l'époque, j'étais très jeune, je ne voulais pas qu'on se suicide pour moi. Un jour, je me suis réveillé à 3 heures du matin et je me suis dit : "Ça va vraiment être ça, ma vie ?". Je lui ai dit qu'il fallait que nous divorcions, ce que nous avons fait. Elle a déménagé dans une autre ville, et pendant plusieurs années, j'ai vécu dans la peur de la mauvaise nouvelle. Et puis je suis allé dans la ville où elle vivait, et je suis tombé sur elle : elle était magnifique, en pleine forme, complètement guérie, elle avait eu des jumelles. En fait, elle avait épousé son médecin. C'est la pure vérité. Tout ce que je raconte est vrai. Je préfère de loin parler de ce personnage-là plutôt que du jeune homme un peu bête qui n'osait pas dire qu'il n'en pouvait plus ! Mais c'est vrai qu'il y a cette volonté chez moi de poursuivre la tradition picaresque du roman espagnol. Et c'est finalement très politique, cette tradition qui a pour fondement une critique du pouvoir a pratiquement disparu d'ailleurs. Je ne dis pas que je vais la sauver à moi tout seul, mais il me semblait intéressant de m'inscrire dans cette veine-là. Je me tiens à l'écart des grandes maisons d'édition  espagnoles qui ont tendance à me dire : "Écrivez donc un livre plus sérieux, qu'on en vende des milliers d'exemplaires." Car je pense qu'il n'existe pas de livres plus sérieux que ceux que j'écris (...).

Marin Ledun :  Je rêve d'avoir des personnages comme ceux-là, picaresques. Mais comme je ne sais pas faire, je me raccroche à des êtres qui essaient de porter des idéaux beaucoup trop grands pour eux, des gens qui se débattent dans des combats inextricables, que ce soit au Pays basque ou sur une plate-forme téléphonique. Ils nous ressemblent beaucoup, mais dans mes romans, ils sont en bout de course. Ils se démènent comme des animaux qu'on a abattus, mais qui ne sont pas encore tout à fait morts.

Nicolas Mathieu : Ma came, c'est le réel, c'est ce qui m'intéresse le plus. Dans une société comme la nôtre, les outils de médiation d'aujourd'hui, dans notre société de l'information, nous masquent le réel, le scénarisent en permanence Finalement, ce sont les outils romanesques qui donnent le temps d'accéder à des parts de réalité. Dans les combats politiques et sociaux, je me penche sur les détails, les voitures qu'on conduit, etc. Il n'y a pas de filiation directe avec Pierre Pelot. A un moment, j'essayais d'écrire des fictions dans des décors parisiens, dans des appartements avec des moulures au plafond. Et des auteurs comme Pierre Pelot m'ont décomplexé et m'ont fait comprendre qu'on pouvait aussi écrire des fictions dans des décors que je connaissais mieux.

Marin Ledun : Le roman noir est un roman de crise, c'est son essence même. Il est né dans les années 20 et 30 avec Hammett et Erskine Caldwell. En France dans les années 70 on a eu le néo-polar avec Manchette. Le roman noir fleurit dans les temps de crise, et c'est le cas en ce moment. Même si, qu'on se rassure, on n'en vend pas particulièrement plus ! On continue à vendre des best-sellers qui sont plutôt des thrillers. Donc nous convergeons sur des thématiques assez similaires, avec nos propres façons de voir les choses. Quant à réagir à chaud aux événements, pour moi c'est impensable. Quand je vois en ce moment, sur les réseaux sociaux, des auteurs s'écrier : "Vous voyez, je l'avais écrit !", je trouve ça complètement indécent, même si c'est effectivement un type de comportement naturellement induit par le fonctionnement des réseaux sociaux. 

Nicolas Mathieu : En fait pour moi en ce moment, je ne sais pas ce que je pense de ces événements... Il y a une poussière qui flotte en l'air, j'attends qu'elle retombe...  Et puis il y a une grande différence entre le terrorisme dont on parle aujourd'hui et celui des années 70. Dans les années 70, le but était de lutter pour un monde meilleur. Aujourd'hui, les terroristes veulent juste nous tuer...

Carlos Salem : Même s'il y a quelques tentatives opportunistes, je suis certain qu'il est impossible d'écrire un roman maintenant avec ce qui vient de se produire. Lorsque la dictature argentine s'est achevée, on a eu 40 romans et peut-être autant de films : globalement, il reste un bon film et un bon livre... Il m'a fallu 25 ans pour pouvoir écrire une pièce de théâtre sur la torture en Argentine. Ce n'est qu'aujourd'hui que je me sens prêt à écrire un roman sur ce sujet. Et dans ce roman, il n'y aura pas de personnage picaresque.

Nicolas Mathieu et Marin Ledun
 Marin Ledun : Mes romans noirs portent uniquement sur ce que j'arrive à capter : des expériences de vie, des rencontres. Il m'a fallu six ou sept ans pour écrire Les visages écrasés par exemple. Je n'entends pas pointer du doigt tous les crimes de la société : j'adorerais  pouvoir écrire des romans comme celui de DOA, par exemple. Mais je serais incapable d'aller rencontrer des militaires, de faire de la géopolitique de guerre. J'écris des romans  à mon échelle, pour lesquels je peux me documenter, rencontrer des gens.

Nicolas Mathieu : Le roman noir est un outil de critique sociale. Là où commence le travail de dissection et de critique sociale, c'est avec nous, avec nos voisins. De mon côté, je décris comment ça marche, les rouages, le fonctionnement des structures sociales, les affrontements, les mouvements. Je ne suis pas dans la dénonciation, et surtout pas dans le jugement de mes propres personnages (...). Mon deuxième roman ? Un roman d'apprentissage criminel, qui se passera exclusivement en été, car le premier se passait exclusivement en hiver, et j'en avais vraiment assez... 

Marin Ledun : Ce sera un roman à contrainte. J'avais envie de faire un roman anti-houellebecquien par principe. Je n'avais pas envie de faire de la théorie littéraire, ni de comprendre pourquoi Houellebecq m'énerve. J'ai donc décidé par principe de faire un roman contre. Le point de départ, c'est une jeune femme qui travaille dans un chenil et qui rêve d'être danseuse. 
Et puis il ne faut pas oublier que nous passons quand même 95% de notre temps à travailler sur des agencements de mots, des répétitions, des choses comme ça. En fait, très concrètement, nous passons beaucoup de temps à nous dire "il y a trois fois le verbe "faire" dans cette phrase, il faut que j'en supprime au moins deux." J'aime bien l'idée de ce personnage un peu cassé physiquement, sortir un peu du politique et des histoires de grands complots. Et puis il y a l'adaptation au cinéma des Visages écrasés, avec Isabelle Adjani. C'est elle qui a acheté les droits, qui s'est identifiée à ce personnage. Elle a flashé sur le fait que c'était un personnage agissant. Elle va donc apporter cette force-là à l'héroïne, et c'est une belle histoire. Il y aura aussi la formidable Corinne Masiero dans le film, et d'autres comédiens très bons. C'est un livre assez compliqué à adapter, et moi-même j'ai jeté l'éponge... Et puis Louis-Julien Petit, le réalisateur, a eu le courage de casser un peu le livre, de supprimer certaines choses pour que ce ça devienne un film. 

Carlos Salem : Le prochain roman à paraître chez Actes Sud a pour personnage principal une femme, c'est la narratrice. C'est quelqu'un qui a toujours voulu bien se comporter, et que se rend compte tout à coup qu'elle s'est fait avoir toute sa vie. Et en ce moment, j'écris le roman dont je parlais tout à l'heure, sur la torture et la vengeance. La seule obligation que l'on a en tant que romancier, c'est d'écrire de bons livres.

Marin Ledun, Au fer rouge, Ombres noires
Nicolas Mathieu, Aux animaux la guerre, Actes Sud
Carlos Salem, Le plus jeune fils de Dieu, Actes Sud



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