19 octobre 2015

James Oswald, l'interview en roue libre


Quand un nouvel auteur fait irruption dans l’univers du roman policier, la curiosité est grande.  Quand son premier roman paru en France (De mort naturelle, voir la chronique ici) vous donne vraiment envie de lire les autres,  les questions se pressent… Si en plus il est écossais,  comment voulez-vous résister ? James Oswald a bien voulu satisfaire ma curiosité. Merci à lui !


Vous avez commencé votre carrière d’écrivain dans le domaine de la fantasy. Pourquoi et comment êtes-vous passé au roman policier ?
J’ai lu des BD pendant toute mon enfance, et la première fois que j’ai été payé pour écrire, il s’agissait d’un court script pour le magazine 2000 AD*. La BD et la fantasy ont toujours fait partie de mes styles préférés, donc il était naturel que j’y fasse mes débuts.
Au début des années 1990, j’habitais Aberdeen. J’y ai rencontré Stuart MacBride. A l’époque, il essayait de se faire un nom en tant qu’artiste et auteur de BD. Nous sommes restés très amis, et n’avons jamais cessé,  année après année, de discuter de nos romans non publiés. Quand Stuart a réussi à faire paraître le premier volume de sa série Logan McRae (Cold Granite, voir la chronique ici), je travaillais à ma série fantasy, The Ballad of Sir Benfro. Il m’a conseillé d’arrêter mes fariboles à dragons et de m’essayer au roman policier.
A l’époque, je n’avais pas lu grand-chose dans ce domaine-là. Mon père était fan de Ian Rankin, j’ai donc commencé par lire quelques Rebus. Adolescent, j’avais eu ma période Agatha Christie, bien sûr. Et naturellement, Stuart m’avait fait lire les manuscrits de ses deux premiers Logan McRae. J’ai exhumé un personnage que j’avais créé à l’origine pour un script de BD – Tony McLean – et j’ai commencé à travailler pour voir ce que je pouvais en faire.


Vous êtes un auteur écossais, mais aussi un agriculteur écossais. Pourquoi avoir situé votre premier roman policier dans la ville d’Edimbourg plutôt  qu’à la campagne ?
En fait je vis à une heure au nord d’Edimbourg. Mon choix remonte aux origines du personnage de Tony McLean, qui figurait dans un script de BD écrit quand je vivais à Aberdeen. J’avais choisi Edimbourg parce que c’était une des rares villes que je connaissais bien, et qu’elle se prêtait bien aux histoires de fantômes, ce dont il était question dans mon script.
A vrai dire, je ne suis pas passionné par les histoires policières rurales, pas dans le cadre d'une série en tout cas. Un roman d’atmosphère situé dans la lande balayée par les vents, où les gens ruminent leurs rancœurs sur plusieurs générations, où tout le monde a un cadavre dans le placard, c’est très bien pour une histoire autonome, mais si on s’aventure à créer une deuxième énigme avec le même contexte, ça devient vite invraisemblable.


Quels sont les auteurs qui vous ont le plus influencé ? Vos influences ont-elles évolué avec les années ?
Pour moi, c’est difficile de nommer un auteur en particulier et d’affirmer : « Voilà, Untel m’a influencé », ou bien « J’ai commencé à écrire après avoir lu Untel. » J’ai toujours adoré raconter des histoires, inventer de nouveaux univers, ou simplement donner du sens à celui dans lequel je vis. En termes de technique d’écriture, j’ai beaucoup appris en écrivant des scripts de BD,  et je citerais volontiers certains des premiers auteurs de 2000 AD – John Wagner, Alan Grant, Pat Mills, Grant Morrison, Garth Ennis, Pete Milligan, et bien d’autres – parmi mes influences. Lors d’une interview, le journaliste a mentionné les noms de Neil Gaiman et Iain Banks, disant qu’ils m’avaient certainement influencé davantage que bien des auteurs traditionnels de romans policiers, et j’imagine qu’il avait probablement raison. Un jour,  j’aimerais arriver ne serait-ce qu’à la moitié de leur niveau en tant qu’écrivain.  Dans le domaine du polar, j’ai appris beaucoup de Ian Rankin, R.D. Wingfield (le créateur du formidable inspecteur Frost) et bien sûr de Stuart MacBride.
Pour un écrivain, il est capital de lire beaucoup, et dans des domaines très variés, afin de maintenir l’inspiration à flots. Je suis une personne très différente de celle que j’étais quand j’ai écrit mon premier roman, il y a pratiquement 20 ans, ou de celle que j’étais quand j’ai écrit mon premier script, il y a plus longtemps encore. Je pense que j’ai été influencé, bon an mal an, par presque tous les auteurs que j’ai lus.

Dans quelle mesure votre vie d’agriculteur influence-t-elle votre écriture, en termes d’inspiration… et d’organisation ?
J’ai repris l’exploitation à la mort de mes parents, et j’ai pu m’offrir le luxe de mettre en place une organisation qui me laissait du temps pour écrire. J’élève du bétail des Highlands et des moutons Romney de Nouvelle Zélande. Ce sont des bêtes solides et autonomes, qui n’exigent pas une attention permanente. Ceci dit, j’ai tendance à écrire mieux le soir, ce qui me laisse la journée pour le travail à la ferme. Je ne regarde plus trop la télévision, et je n’ai de toute façon pas assez de temps pour lire autant que je voudrais.
Quant à l’inspiration, elle arrive aux moments les plus inattendus. J’ai toujours un carnet et un crayon à portée de main. Mon téléphone me sert aussi pour enregistrer des idées pendant que je conduis le tracteur ou quand j’arpente les collines pour surveiller les bêtes.


Comment la nature influence-t-elle votre écriture ?
En fait je ne suis pas sûr qu’elle m’influence, sauf en termes de passage des saisons.  En ville, la nature se résume au rusé renard des villes, ou au rat qui grignote les doigts d’un cadavre au détour d’une allée sombre. Pour dire la vérité, mon écriture est tout sauf naturelle en ce qu’elle cartographie les profondeurs de la dépravation humaine, toutes ces choses contre nature que les humains sont capables de faire pour s’approprier du pouvoir ou du plaisir.

Comment l’Écosse influence-t-elle votre écriture ?
Comment l’air influence-t-il votre respiration ?
Ma famille est écossaise, mais je suis né en Angleterre. J’ai été élevé en Angleterre et en Écosse. J’ai vécu à Aberdeen et Edimbourg, et j’ai aussi passé plus de dix ans au Pays de Galles, où j’ai travaillé sur une exploitation expérimentale, au beau milieu de nulle part. Mais Tony McLean a toujours vécu à Edimbourg, et je connais cette ville depuis suffisamment longtemps pour l’y intégrer de façon plausible, sinon toujours précise à 100%.
Il existe un tempérament écossais, ou plutôt plusieurs tempéraments écossais distincts, que j’essaie d’insuffler à mes personnages, et je crois que c’est cette attitude – cette façon particulière de penser et d’agir – qui donne au roman policier écossais son parfum bien particulier.

Comment décririez-vous la spécificité du roman policier écossais par rapport au roman policier anglais, par exemple ?
J’aurais du mal à répondre à cette question, n’étant pas un spécialiste du roman policier anglais. Mais comme je vous le disais, je pense qu’il existe un certain nombre de façons de voir le monde qui sont spécifiquement écossaises, et le roman policier qui est écrit en Écosse, ou qui a l’Écosse comme décor, a tendance a refléter cet état de fait. Pour moi, l’écriture c’est avant tout les personnages, puis l’intrigue. Donc si les personnages résonnent de leur nature écossaise, l’histoire sera elle aussi typiquement écossaise.


Comment conciliez-vous votre vie d’agriculteur avec votre vie d’écrivain ?
Mal.
Plus sérieusement, je trouve que les deux activités fonctionnent assez bien ensemble. En dehors des paperasseries administratives, l’agriculture n’est pas très exigeante en termes de réflexion et de concentration, ce qui veut dire que je peux laisse libre cours à mes pensées quand je travaille dans les champs. Je m'occupe de la ferme le jour, j’écris le soir. Ce qui est le plus difficile à caser, c’est la promotion, les conférences dans les bibliothèques et les librairies, les festivals de littérature, etc. Tout ce qui m’éloigne de l’exploitation signifie qu’il faut que je trouve quelqu’un pour veiller au grain pendant mon absence.
Penguin a publié mon premier roman dans la série des Tony McLean début mai 2013, c’est-à-dire à la fin de la saison de l’agnellage. Ce qui n’est pas une bonne période pour un éleveur, comme je leur ai expliqué après avoir été interviewé en direct par BBC Scotland le jour du lancement, alors que je n’avais pas dû avoir plus de deux heures de sommeil par nuit pendant un mois. Maintenant, mes livres sortent plutôt en février et en juin, des périodes plutôt calmes dans mon activité d’éleveur.

Comment avez-vous décidé que votre premier roman policier relèverait de la forme traditionnelle, avec des flics, une enquête, etc. ?
Probablement parce que le peu de polars que j’avais lus avant de me lancer appartenaient à cette catégorie – Rebus, Frost, McRae. Lors de sa première apparition, Tony McLean n’était qu’un personnage très secondaire dans une histoire de fantômes du type bien contre mal, mais il a toujours été policier. Je l’ai utilisé dans deux romans de fantasy urbaine qui ne sortiront jamais – à chaque fois que j’avais besoin d’un policier, McLean était mon choix par défaut. Donc quand j’ai décidé d’écrire mon premier polar, l’environnement policier m’a paru naturel. Mais bien sûr il fallait que j’y mette un élément de surnaturel, parce que sinon ça n’aurait pas été moi !


Quand vous avez créé votre personnage, aviez-vous un modèle à l’esprit ?
A sa première apparition dans un script de BD, il était plus âgé, plus cynique. Sa caractéristique principale était qu’il était capable de voir les fantômes et les démons qui se cachaient derrière une série de crimes étranges perpétrés dans sa ville. Pourtant, il ne voulait pas croire ce qu’il voyait, vu qu’il avait été élevé dans une famille strictement rationnelle par une grand-mère qui n’avait pas de temps à perdre avec ces bêtises occultes.  Il n’est pas basé sur une personne que je connais, mais parfois je me pose la question : « comment Untel réagirait-il dans une telle situation ? » au moment où je dois décrire une de ses réactions. Et le « Untel » n’est pas toujours la même personne.

Pourquoi l’un de vos personnages s’appelle-t-il Stuart MacBride ?
Ça a commencé comme une plaisanterie, quand Stuart m’a suggéré d’arrêter mes histoires de dragons et de m’intéresser au polar. J’ai commencé par écrire une demi-douzaine de nouvelles pour me faire la main, et mieux connaître mon personnage et son environnement. Au tout début, j’ai intégré ce personnage du malheureux Détective MacBride, c’était un clin d’œil amical, jamais je n’aurais imaginé que ces histoires auraient une suite.
Et puis il est resté dans les romans quand j’ai publié les deux premiers, et je n’ai même pas pensé à demander à Stuart si ça le dérangeait, car j’étais sûr que personne ne les achèterait.  Et puis ça a commencé à marcher très fort, j’ai signé un contrat avec Penguin, et c’est là – un peu tard – que j’ai pensé à demander à Stuart si ça lui posait un problème. Il m’a répondu que ça ne le dérangeait pas, mais que j’avais peut-être intérêt à changer le nom car sinon j’allais passer ma vie à répondre à ce type de question. J’ai bien failli le faire – le personnage a failli s’appeler Buchanan, le deuxième prénom de Stuart, ce qui me permettait de conserver l’hommage – mais je me suis dit qu’avec 350 000 e-books dans la nature avec ce personnage appelé Stuart MacBride, si je modifiais le nom ce serait encore pire…
En réalité, on me pose assez peu la question ! En revanche, c’est à Stuart qu’on demande s’il sait qu’il figure dans mes livres !


L’inspecteur McLean et l’inspecteur chef Duguid sont ennemis. Jouez-vous sur le schéma traditionnel « bon flic / méchant flic » ou bien s’agit-il d’une approche personnelle du bien contre le mal ?
Pour moi, la relation entre McLean et Duguid reflète plutôt les conflits inévitables qui surgissent quand on met en présence deux personnalités très différentes, dans un contexte où la pression est forte. J’ai occupé beaucoup de postes où j’ai été dirigé par des gens qui, très clairement, avaient été promus bien au-delà de leur niveau de compétence.  Au départ, Duguid était le symbole de cet état de fait – un type qui se bat pour être à la hauteur, sait qu’il se bat, et balance des coups à ceux dont il pense qu’ils semblent plus compétents que lui. Duguid n’est pas un mauvais type ; en fait, comme détective, il est plutôt bon quand on le laisse faire. Mais on l’a promu à un poste de management, et il déteste McLean pour la liberté qu’il a encore de descendre sur le terrain et de résoudre des crimes.
C’est toute la beauté des séries : on a le temps d’explorer les personnages récurrents, leurs relations, de façon beaucoup plus approfondie que dans un roman autonome. L’histoire entre Duguid et McLean remonte bien avant le début de De mort naturelle, comme on le verra dans le sixième volume, qui s’appelle The Damage Done.

Dans De mort naturelle, il y a bien sûr un soupçon de surnaturel. Est-ce une référence à vos romans de fantasy, ou un élément de mystère complémentaire pour l’intrigue ?
Ça remonte aux premières apparitions de Tony McLean dans ce script de BD, mon histoire de fantômes. En BD, ça ne dérange personne de voir des démons s’en donner à cœur joie, des loups garous qui rôdent, des vampires qui font ce que bon leur semble ! Dans le roman policier, c’est autre chose, et les lecteurs se sentent floués, à juste titre, s’ils ont lu 100 000 mots d’enquête pour découvrir qu’au bout du compte, le coupable est un fantôme ! Je m’efforce donc que dans mes histoires, le mystère principal ne soit pas résolu par une réponse surnaturelle, mais j’aime bien l’idée des forces irrationnelles en action, et la façon dont la police – ou un enquêteur – s’en sort dans un monde majoritairement rationnel.

Ces aspects surnaturels sont-ils un moyen d’échapper au cadre trop traditionnel du roman policier classique, procédural ?
Oui, à bien des égards, même si je n’ai jamais délibérément voulu écrire des romans de procédure. Bien sûr, il y a de la procédure dans mes livres, mais je m’intéresse beaucoup plus à l’interaction entre les personnages, à leur réaction face au drame qui se déroule. Cela me passionne davantage que de construire une énigme et de faire en sorte que mon héros la résolve.

Comment réagissez-vous quand on vous décrit comme le “nouveau Ian Rankin?”
Je suis aux anges. Ian Rankin est un grand auteur dont j’apprécie le travail depuis longtemps. Lui être comparé est pour moi un immense compliment. Mais je pense que nous sommes très différents, nous écrivons des choses très différentes avec une similitude : nos protagonistes sont des flics qui travaillent dans l’Edimbourg d’aujourd’hui. En tout cas, c’était très gentil de la part du Daily Record ! D’ailleurs, j’imagine que s’ils se rencontraient, Rebus et McLean ne s’apprécieraient pas. Ils viennent de contextes différents. D’un autre côté, McLean a accès à un excellent whisky et a toujours été partageur, alors…

Quelles leçons tirez-vous de votre expérience très réussie de l’auto-édition ?
Aujourd’hui, mon succès dans l’auto-édition me stupéfie. Je me suis lancé parce que comme je venais de reprendre l’exploitation, je n’avais plus le temps d’écrire un nouveau roman. A bien des égards, c’était mon dernier coup de dés… Après vingt ans sans éditeur, je n’avais plus beaucoup d’espoir. Mon but initial, c’était de vendre un total de 1000 livres la première année.
J’avais déjà écrit les deux premiers volumes de la série McLean  (De mort naturelle et The Book of Souls) et tous deux avaient fait partie de la sélection pour le prix de la Crime Writers Association, dans la catégorie des auteurs non publiés. Ce qui laissait à penser qu’ils avaient un certain niveau, mais tous les éditeurs qui les avaient lus les avaient refusés au motif de la présence d’éléments surnaturels. On m’a dit et répété que les lecteurs de polars détestaient ça.
Je pense que j’ai eu la chance d’avoir deux livres d’une série, déjà prêts, à l’époque où le Kindle commençait à décoller en Angleterre. Ma seule stratégie marketing a été de proposer le premier volume gratuitement pendant une période limitée, en espérant que les gens le liraient et l’aimeraient assez pour dépenser un peu d’argent sur le suivant.
Cette “stratégie” a été particulièrement payante, mais elle n’a fonctionné que parce que j’avais déjà un deuxième livre prêt. Je n’en reviens toujours pas quand je vois le nombre de personnes qui me demandent mon avis sur la gratuité. Quand je leur demande si elles ont terminé le deuxième livre de leur série, elles me répondent qu’elles ne l’ont même pas commencé. C’est absolument inutile de donner le fruit de votre dur labeur si vous n’avez pas dans votre manche quelque chose de tout prêt à être vendu. Enfin si votre ambition est de gagner de l’argent avec vos écrits, bien sûr.
Peut-être la seule autre leçon, c’est que l’auto-édition, c’est de l’édition qu’on fait soi-même ! Dans cette perspective, il faut toujours se demander ce que ferait un éditeur professionnel – s’agissant  du visuel de couverture, de la mise en page, de la relecture, du marketing; En tant qu’auteur auto-édité, vous n’avez pas de budget, bien sûr. Mais si votre couverture a l’air d’avoir été dessinée par un enfant de 6 ans, et si le texte est mal fichu, avec des coquilles, des fautes d’orthographe à chaque page, vous pouvez être sûr que le lecteur n’attendra pas grand-chose de l’histoire que vous racontez.

* Célèbre hebdomadaire de BD anglais très orienté Science-Fiction

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