26 août 2015

Séverine Chevalier, "Clouer l'ouest" : le retour impossible

On ne change pas une équipe qui gagne... Continuons donc l'exploration de la nouvelle collection Territori (Écorce / La Manufacture de livres) avec le roman de Séverine Chevalier, Clouer l'ouest. Et puis, débarrassons-nous tout de suite du jeu de mots facile mais de circonstance : ce roman m'a clouée sur place. A vrai dire, je m'y attendais un peu, vu la qualité du premier roman de Séverine Chevalier, Recluses, paru chez Écorce et chroniqué ici... Séverine Chevalier, avec Clouer l'ouest, à la fois se rend plus accessible, avec une narration plus linéaire - toutes proportions gardées - et plus intransigeante, en ce qu'elle n'hésite pas à bousculer, voire à renverser avec fracas, les bons sentiments, le sens de la famille, la sacro-sainte maternité, ...
Au départ, c'est le retour de l'enfant prodigue. Karl rentre au bercail, auprès de cette famille qu'il a quittée bien des années auparavant, dans des circonstances brutales, pénibles. Karl le joueur a brûlé sa vie, il n'a plus rien, plus personne, même pas lui-même. Si, quand même, il a ses souvenirs lancinants, obsédants. Et puis la petite Angèle, sa petite enfant qui ne parle pas, celle qu'il a abandonnée à son départ, celle qu'il aime tant, contre vents et marées. Cette petite aux cheveux noirs vit avec la famille : le Doc, patriarche médecin, chasseur, macho, Odile, qui perd la tête, l'Indien, et les autres, tous les autres, plus ou moins proches, aux souvenirs plus ou moins fidèles, à la mémoire plus ou moins honnête. Le bercail, c'est la famille certes, mais c'est aussi le pays, ce plateau de Millevaches enneigé qui joue dans le roman un rôle si grand que c'est peut-être le premier. Pas de lyrisme naturaliste ici : la nature est plutôt hostile, les arbres les murs de la prison, le ciel inatteignable sous un plafond de verre invisible mais bien solide, la neige qui se balance au-dessus des paysages. Et puis la bête noire, le sanglier gigantesque qui, depuis des années, échappe aux chasseurs, et qui est devenue une sorte de mythe local effrayant. Le sang de la bête, le sang des humains, épais, noir, à peine fluide.

Petit à petit, Séverine Chevalier dévoile. Pas par goût du suspense, ou alors un suspense bien personnel, un suspense poétique. Non, en fait elle nous ménage, car ce qu'elle à a révéler est tellement cruel, ses secrets tellement noirs, qu'ils nous tireraient bien quelques larmes qui n'auront rien à voir avec de la compassion, mais bien avec de la souffrance. Séverine Chevalier écrit de la prose. Une prose qui, de temps à autre, s'évade, se libère vers la poésie. Une poésie qui n'a rien de bucolique, ni de mélancolique, une poésie de l'obsession, de la désespérance, de la violence, des lignes lancinantes, qu'on pourrait bien imaginer en musique. Soyons clair : la lecture de Clouer l'ouest n'est pas de tout repos. Mais qui a besoin d'une littérature reposante ?

Séverine Chevalier, Clouer l'ouest, collection Territori, co-édition Ecorce / La Manufacture de livres

1 commentaire:

  1. Ce roman vient de remporter le prix CALIBRE 47 du festival POLAR'ENCONTRE de mars 2016

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