17 juin 2015

Gilles Verdet, l'interview en roue libre

Il y a quelques semaines paraissait le nouveau roman de Gilles Verdet, Voici le temps des assassins (Jigal) (voir chronique ici). Littérature noire mais généreuse, écriture à la fois nerveuse et poétique, engagement politique qui n'exclut ni l'élégance ni la lucidité et l'ironie,  les romans de Gilles Verdet mériteraient d'être plus connus. J'ai voulu en savoir plus sur le parcours de Gilles Verdet, il s'est volontiers prêté au jeu de l'interview en roue libre. Merci à lui.

Qu'est-ce qui t'a incité à associer l'aspect politico-historique et l'aspect poétique?
J'ai toujours pensé que la poésie, quand elle n'est pas contemplative, a quelque chose de rebelle. Le roman noir, lui, est le lieu de la contestation sociale. Il me paraissait normal qu'ils se rencontrent. C'est comme ça que le livre est venu. J'avais fait des recherches sur la biographie de Rimbaud, et j'avais envie de parler du Club des Vilains Bonshommes, où Verlaine l'avait entraîné juste après la Commune. A l'époque, Rimbaud avait 17 ans, c'était un sale gosse : il a foutu sa merde, il est parti. C'était intéressant de relier ça à l'histoire de la Commune.

Et la rencontre entre tout cela et l'histoire contemporaine ?
En même temps, l'histoire parle beaucoup des années 1970, qui sont contemporaines à ma jeunesse ! Sans dévoiler l'intrigue, je trouvais intéressant de faire le rapprochement entre les communautés des années 1970 et la Commune de Paris.  Le roman noir est le reflet de l'histoire contemporaine. La Commune de Paris, c'est la dernière révolution qu'ait connue Paris... Et c'est intéressant de voir comment cette sorte d'utopie libertaire  des années 70 a pu engendrer des monstruosités.

Est-ce que ça n'est pas justement le sujet principal du livre ?
Avec l'éditeur, nous avons choisi le titre juste avant l'attentat de Charlie. C'est un peu effrayant. Alors oui, c'est un sujet important dans le livre.

Comment peux-tu expliquer ces dérives ?

Ces types étaient dans l'utopie complète, et ils étaient devenus tellement sectaires qu'ils allaient à l'inverse de l'idée qu'ils se faisaient de la liberté même. S'agissant de la poésie, il y a dans le roman un certain nombre de meurtres où les assassins déclament de la poésie. C'est un contresens : la poésie, elle est dans la vie, le plaisir de la vie.

Est-ce qu'il n'y a pas dans cette démarche une façon d'aller contre une tendance actuelle du polar d'être très noir, très cinglant, très violent ?
Oui, ma nature va plutôt dans ce sens-là. Je ne suis pas très consommateur de serial killers, de meurtres à la tronçonneuse et de pédophilie. On écrit comme on est, chacun sa musique. Je me suis aperçu dans tout ce que j'ai publié que je reviens toujours la situation transgénérationnelle. Dans les années 70, nous avons connu une révolution culturelle complètement exceptionnelle, et qu'a-t-on transmis à nos enfants ? La terrible histoire de Charlie Hebdo, ça pousse à la réflexion.

Dans les années 70, il y avait d'une part ceux qui poussaient l'utopie libertaire tellement loin qu'ils en devenaient des tyrans. Et puis il y a eu tous ceux qui s'en sont très bien sortis, dans la pub, la com, etc.
Oui, et dans l'édition surtout ! Après la dernière grande manifestation en France, à Malville, nous avons échappé aux morts qu'ont subies l'Italie et l'Allemagne. Dans mon premier roman, Une arrière-saison en enfer, il était question de militants qui se dispersaient pour ne pas céder au terrorisme fasciste. Dans Voici le temps des assassins, ceux qui vont mourir n'étaient pas dans la violence, mais dans le sectarisme.

Y a-t-il une forme de culpabilisation chez ces jusqu'au-boutistes ?

Je ne suis pas sûr...

Irais-tu jusqu'à donner raison à la génération des trentenaires qui rendent responsables leurs parents de la situation dans laquelle ils se trouvent ?
Tout à fait, nous sommes responsables de nos enfants. Quand nous avions 20 ans dans les années 70, c'était le plein emploi, tout était possible. Aujourd'hui, ce n'est plus la même chanson...

Comment est venue l'idée de ce roman ?
Personne ne peut répondre à ça. J'ai toujours considéré que l'écriture était graphomotrice : c'est en écrivant que les idées viennent. Souvent, je ne fais pas de plan initial. Parfois, d'autres auteurs me disent qu'ils font un plan et qu'en quinze jours le livre est écrit. Je suis incapable de travailler comme ça. Mes idées me viennent en travaillant, et ensuite je bâtis l'intrigue. Mais celle-là n'est pas si complexe que ça.

Ce qui est complexe, ce sont les protagonistes.
Oui, et surtout il faut surprendre le lecteur.

Quelle part occupent les règles du polar dans ta façon de travailler ?
Je considère que j'écris plutôt du roman noir. Dans le roman noir, l'enquêteur peut être un journaliste, un garçon coiffeur. L'action avance jusqu'à ce qu'on découvre le pot-aux-roses.

Ce mécanisme-là, comment t'en sers-tu ?
Je n'ai pas de technique, j'y vais au feeling. Je pense bien sûr au plaisir du lecteur : fausses pistes,indices, etc. C'est un jeu. Ma seule règle, c'est de ne pas être ennuyeux, de surprendre. C'est pour cela que je ne suis pas client des histoires de serial killer : ça ne me surprend plus.

Est-ce qu'on n'est pas en train d'arriver au bout de cela, justement ?
Peut-être. Il y a tellement de choses à écrire. Il paraît 160 polars par an, je pense qu'il y a encore beaucoup de serial killers qui cachent des petits enfants dans leur cave.

Comment as-tu commencé à écrire ?
J'ai commencé comme dialoguiste pour une émission scolaire sur la 5. Ensuite, j'ai écrit mon premier roman qui a été publié à la Série Noire, puis des nouvelles (La sieste des hippocampes, Le Rocher), un autre roman, Larmes blanches, paru chez Buchet Chastel (voir chronique ici). Je suis aussi co-auteur d'un documentaire dont j'espère qu'il va sortir en salle prochainement.

Sur quel sujet ?
Sur les vaches ! Ça s'appelle De chair et de lait. Ça m'a intéressé en particulier parce que c'est à partir de là que j'ai pu décrire un abattoir dans mon roman. Si je n'avais pas eu cette expérience-là, je n'aurais pas pu écrire cette scène. J'ai tout vu, de la bête vivante jusqu'au steack. De la même façon, dans le livre, il y a  une scène qui se passe à l'hôpital : elle vient de ce que m'a raconté ma fille, qui travaille à l'hôpital. Les secours avaient bloqué la porte de Montreuil parce qu'une femme venait de s'immoler par le feu. Le personnage qui vit dans sa caravane, ça me vient d'un couple qui vivait à côté de chez moi, des travailleurs pauvres qui habitaient dans leur voiture et qui nourrissaient des rats.Je me sers beaucoup de ce qui m'arrive et de ce que je vois. La vie est bien pire que ce qu'on écrit dans les romans.

Quand tu as commencé à écrire des romans, à quels auteurs as-tu pensé ?
Il ne faut pas penser, justement, parce sinon on se laisse influencer. Mais bien sûr je me suis nourri du néo-polar, Manchette surtout, et aussi des polars américains, Jim Thompson en particulier. Et Faulkner, pour moi Faulkner c'est du roman noir.

Quand on décide d'écrire, le polar n'est pas forcément la première chose à laquelle on pense ?

Dans le polar, c'est bien, on ne pleure pas les morts, on peut les aligner, on peut tout se permettre. Tandis que si on écrit un roman, on va faire de l'auto-fiction, des trucs chiants.

Alors ce premier roman, paru en 2004, Une arrière-saison en enfer, de quoi parlait-il ? On peut en parler sans déflorer l'histoire, puisqu'il est épuisé.
Il y était question d'un groupuscule anarchiste dans les années 70, qui faisait des actions un peu provoc' - ils enfermaient un architecte dans une saloperie de HLM qu'il avait construit, ils braquaient une partouze de nantis...-. A un moment, ça tourne mal, un flic est assassiné, et ils se dispersent. Et trente ans plus tard, ils se retrouvent pour découvrir qui les a trahis. En termes d'écriture, j'ai travaillé l'alternance entre les années 70 et la période contemporaine. Ce roman a même été étudié à l'Université de Turin, il a été sélectionné pour des prix. Mais malheureusement, il n'est plus disponible, c'est Gallimard qui a les droits...

Et tes projets ?
Je viens de passer 5 semaines à Montevideo, parce que j'ai le projet d'écrire sur les Tupamaros. Une sacrée histoire que celle qui s'est passée entre 1960 et 1973, une guerrilla urbaine très importante. Dans toute l'Amérique latine, il y avait des mouvements révolutionnaires, et notamment en Uruguay où on les appelait les Tupamaros, du nom de Tupac Amaru, un résistant indien à la conquête espagnole. En 1973, une junte militaire a éradiqué les Tupamaros de façon extrêmement violente : tortures, assassinats, déportation... D'ailleurs l'ancien président uruguayen était un ancien Tupamaro qui a passé 15 ans en prison. Aujourd'hui, plus personne ne sait qui étaient les Tupamaros. Il y a eu beaucoup d'exilés en France, en Espagne et ailleurs. Donc j'ai rencontré des anciens Tupamaros, j'ai prévu de parler avec l'ambassadeur d'Uruguay à Paris, qui est lui aussi un ancien Tupamaro.

On dit que Montevideo est une des villes où il fait bon vivre en Amérique latine.
C'est une des villes les plus francophones dans le petit pays le plus européen d'Amérique latine. Il faut dire qu'ils ont éradiqué tous les indiens... Dans les autres pays d'Amérique latine, les gens disent qu'ils viennent des montagnes; Quand on demande aux Uruguayens d'où ils viennent, ils disent qu'ils viennent des bateaux. Ce sont des Basques, des Italiens, des Espagnols. Oui, l'Uruguay est un tout petit pays très étonnant, qui a subi la crise après une période de richesse. Donc voilà le projet auquel je travaille en ce moment.

2 commentaires:

  1. Bonjour, merci pour cette interview.
    Je pensais que la question des droits pouvait être révisée en cas de non soutien de l'éditeur (obligation de moyens ?) durant un certain nombre d'années (cinq/six ans ?).
    Blvd

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  2. Je le crois aussi, c'est d'ailleurs ce que j'ai dit à Gilles.

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