14 septembre 2014

Avec Avis à mon exécuteur, Romain Slocombe réussit un coup de maître.

Le nouveau roman de Romain Slocombe n'est pas un polar. La preuve, le héros meurt au début. Voilà une bonne chose de faite. Mais n'imaginez pas que vous allez vous en tirer comme ça. Nous sommes en février 1941, à Washington, dans un hôtel de seconde zone. Le petit homme qui va quitter ce monde dans quelques instants s'appelle Victor Roudnev. Ou Rubinfeld. Ou Krebnitsky. Le petit homme brun était un traître à la cause. Un vendu. Bref, un homme qui de toute façon n'avait pas longtemps à vivre. Celui qu'on appelait le Général Krebnitsky n'était pas général. En revanche, il avait bel et bien déserté la mère patrie, emportant avec lui un document brûlant, qui à la fois le protège et le condamne. Un document qui prouve que Staline, dans son jeune temps, était un infiltré de la police tsariste.

Inutile de dire qu'il ne fait pas bon s'appeler Krebnitsky, même aux Etats-Unis, et que toutes les polices staliniennes, officielles ou officieuses, sont à ses trousses. D'ailleurs l'issue ne tarde pas à survenir : Krebnitsky est retrouvé au petit matin par la femme de chambre de l'hôtel, mort d'une balle dans la tête. Les indices indiquent le suicide. Et pourtant Krebnitsky a toujours affirmé que si un jour il mourait de mort violente, il faudrait chercher ses assassins. Le suicide, ce n'est pas son genre... La suite du récit, écrit sous la forme d'une longue lettre d'adieu par Krebnitsky lui-même, va le démontrer. A noter, le héros est largement inspiré par la personnalité de Samuel Ginsberg, connu sous le nom de Général Krivitsky.

On sentait bien dans le précédent roman de Slocombe poindre une fascination pour l'histoire de l'URSS et de ses services secrets. Dans Première station avant l'abattoir, le sujet était intégré à un roman d'action bourré d'humour et de réminiscences littéraires. Roman historique, roman d'espionnage, histoire d'un homme et d'un régime, Avis à mon exécuteur est tout cela à la fois. Le style de Romain Slocombe va comme un gant à ce récit foisonnant, touffu, à ramifications multiples. Son sens de la description, du mot juste, de la phrase précise, guide le lecteur et lui évite de s'égarer dans cette histoire d'errance, de terreur, de violence et de duplicité. De l'Espagne de 1936, où Slocombe nous expose froidement les pratiques ignobles des services secrets soviétiques, dont Krebnitsky est un des principaux agents, nous jetant à la figure un seau d'eau glacée en forme de vérité. Au Paris de la fin des années 30, où Krebnitsky et ses acolytes élisent domicile un temps, et où les intellectuels de l'époque manquent singulièrement de discernement. Krebnitsky est marié, il a un fils. Inutile de dire que la vie de famille ne peut pas être une priorité pour lui. Quant à l'amitié, n'en parlons pas. Le réseau des services secrets fourmille d'êtres veules, pervers, hypnotisés par le pouvoir, terrorisés par les effroyables purges staliniennes dont Slocombe nous raconte avec précision les évolutions imprévisibles. Krebnitsky est un homme intelligent : les dérives du régime, les idéaux politiques battus en brèche, l'assassinat considéré comme un mode de gouvernement, rien de tout cela ne lui échappe. Mais le système est fort, la toile d'araignée tissée à la perfection. De jour en jour, Krebnitsky se prend à douter de tous ceux qui l'entourent, essaie de se protéger, ne sait plus vers qui se tourner, et se retrouve même obligé de se rendre complice de l'assassinat de son meilleur ami et de sa femme... Où se réfugier? A qui faire confiance ? La fin est inéluctable, et Krebnitsky le sait.

La magie de ce livre réside dans cette capacité qu'a l'auteur de nous plonger dans l'horreur de la politique, à la façon d'Orwell, tout en nous attachant aux pas d'un homme singulier, juif polonais dont les convictions authentiques sont, jour après jour, laminées par la tyrannie. Avis à mon exécuteur est une œuvre complexe, où les personnages réels croisent habilement les héros imaginaires.  Où l'histoire parallèle du siècle passé est reconstituée avec rigueur mais sans ostentation documentariste. Et qu'il serait dommage d'ignorer pour des raisons politiques, justement... Une réussite remarquable pour un roman d'une puissance rare.

Romain Slocombe, Avis à mon exécuteur, Robert Laffont

1 commentaire:

  1. Bonjour Velda, c'est bien noté. La factrice ne va pas tarder. Je vais voir si j'ai du courrier. L'auteur m'avait déjà fait part de ses impressions à propos d'un Commandant... Merci de partager vos travaux. Amitiés. blʌd

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