Vous ne connaissez pas George Arion. Et pourtant, c'est le roi du polar roumain. Né en 1946, il démarre sa carrière de romancier avec un texte intitulé Attaque dans la bibliothèque, paru en 1983. Un titre à la Agatha Christie qui laisse augurer d'un amour de l'intrigue, du détail, bref, de la belle ouvrage. Cible royale est son premier roman paru en français, et confirme la présomption. A mi-chemin entre le roman policier et le roman d'espionnage, Cible royale est construit avec une redoutable précision.
Nous sommes en 1992, à Bucarest et à Moscou. Et un peu à Vienne aussi, avec un petit saut de puce à Los Angeles. A Moscou, le Président est en colère. et c'est Tchervenko, le chef du KGB qui va essuyer ses foudres. Le Président Matouchine (derrière lequel on devinera facilement le mémorable Boris Eltsine), bien qu'il boive du soir au matinet vice versa, garde une certaine lucidité : "Les pays baltes n'en font qu'à leur tête et ceux du Sud ont des velléités d'indépendance (...) Je t'en foutrais, moi, de l'indépendance." L'analyse politique manque certes de subtilité, mais a le mérite d'être claire.
Entre deux verres de vodka, Matouchine fait comprendre à Tchervenko son incroyable projet : "Je veux tout simplement ne plus entendre parler de la Roumanie. Ce pays doit disparaître de la carte." Rien que ça. Le Président a la rancune tenace, et cette rancune s'exerce envers le roi Michel de Roumanie, qui selon lui a empêché la Russie de réussir, en 1944, l'opération "Terre brûlée", plan élaboré par Staline qui, déjà, visait à anéantir la Roumanie. Presque cinquante ans plus tard, le roi Michel vit en exil en Suisse.Jamais il n'a pu revoir son pays. 1992 sera l'année du retour. Et ce retour sera de courte durée, puisque l'idée de génie de Matouchine, c'est de faire assassiner le monarque lors de sa première visite en Roumanie.
En parallèle, un homme gît dans une chambre d'hôpital, à Bucarest. Plus de mémoire, plus de sensations, plus de vision. Enfin c'est ce qu'on croit... Car la mémoire est là, derrière le front de cet homme dont on ignore et l'identité et ce qui lui est arrivé. Petit à petit, cette mémoire dévorante va déplier devant nous une carte bien inquiétante.
Bien loin de là, à Los Angeles, le dénommé Coler, tueur à gages de son état, le plus redoutable et le plus efficace qui soit, vient de recevoir sa nouvelle mission. Eliminer le roi Michel en public, lors de sa première visite à Bucarest.
A Bucarest, trois hommes sur les dents. Ils savent que Coler arrive. Le problème, c'est que personne, même pas eux, ne sait à quoi il ressemble. Comment arrêter le meilleur tueur du monde, comment s'emparer d'un homme fantôme, sans apparence, sans description ? La seule caractéristique qu'on lui connaisse, c'est qu'il n'éjacule jamais à l'intérieur de la femme qu'il vient de prendre. Précis, mais pas nécessairement facile à exploiter...
Voilà, les protagonistes sont dans les starting blocks. Et nous avec. Arion a construit son roman au cordeau : on ne quitte jamais de l’œil l'homme qui s'éveille progressivement dans sa chambre d'hôtel. Du coin de l'autre œil, on surveille les faits et les gestes de Coler, enfin ceux que l'auteur veut bien nous confier. En frontal, les trois agents roumains qui mènent l'enquête et cherchent l'introuvable. Et derrière nous, Moscou et ses complots terribles mais, au fond, déments. On sent que l'auteur a une expérience certaine de la littérature policière : malgré la complexité des événements, à aucun moment il ne nous laisse nous égarer, ou bien c'est pour nous rattraper très vite et nous remettre dans le chemin qu'il veut nous voir suivre. Le dévoilement progressif de la vérité sur cet homme hospitalisé est particulièrement réussi, et lui donne l'occasion de nous offrir des descriptions émouvantes de sa ville, Bucarest. "Cette ville que j'aime tant. Ses rues tracées sans aucune logique. Ses arbres dont les racines font craquer l'asphalte. Ses nids-de-poule qu'un jour quelqu'un, j'en suis sûr, se chargera de reboucher (...)" Mais s'il conserve d'Agatha Christie le souci de la résolution de toutes les énigmes, il lui ajoute, en journaliste qu'il est, un témoignage ardent sur ce qu'a été ce pays, sur les souffrances qu'il a subies et sur ce qu'il est devenu. S'inspirant largement de l'histoire contemporaine, il nous en donne une vision mi-mélancolique, mi-nostalgique, à travers un récit très rythmé et totalement passionnant.
George Arion, Cible royale, traduit du roumain par Sylvain Audet-Gainar, Genèse éditions
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Oh merci Velda pour cette magnifique chronique et pour cette belle découverte. On voilà un que je vais tacher de lire prochainement.
RépondreSupprimerJe vais essayer de trouver ce livre sur Lyon et me plonger dans l'atmosphère des pays de l'Est, en plein coeur de l'actualité du moment...
RépondreSupprimerVous verrez ! Le roman est on ne peut plus actuel !
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