13 décembre 2013

François Médéline : l'interview en roue libre

La politique du tumulte (voir chronique ici) est un roman qui a fait parler de lui. Bel accueil critique, hommages appuyés dans les blogs, doublés de réactions épidermiques chez certains, ce roman a sans doute ouvert des interrogations sur la nature du roman noir / policier français. Questions de thématiques, questions de style, questions d'écriture. Avec un auteur qui ne se répand guère dans la presse et les salons, voire qui encourage une certaine disons... distance, la question de l'attitude est aussi à l'ordre du jour. A quelques mois de la publication de son deuxième roman à La Manufacture de livres, François Médéline parle. Nous avons volontairement conservé le mode très libre de la conversation, et même le tutoiement, ce qui n'est pas dans nos habitudes, pour préserver le rythme et le "flux" ;-). En roue libre donc.

Dans La politique du tumulte, on remarque très vite que, par moments,  tu fais appel à des modes narratifs (journal intime, extraits de presse) qui viennent rythmer le récit.  Pourquoi ?
Là, on est dans l'artisanat. Ce que j'écris n'est pas forcément facile d'accès dans un premier temps, car je n'aime pas livrer le mode d'emploi en même temps que le bouquin, donc quand j'ai recours à différents modes narratifs (journal intime, coupures de presse), ça me permet de me raccrocher au réel. C'est de la pure technique. Je ne ferai d’ailleurs pas forcément la même chose dans mon prochain roman. Cela me permet aussi de miser sur l'intelligence du lecteur. Il faut dire qu’au moment où j'écris, je ne me soucie vraiment pas du lecteur. Je ne m'en préoccupe qu'au moment de la 5° ou 6° relecture avec l'éditeur... - chaque phrase est revue 50 ou 60 fois, j'essaie vraiment de trouver le mot juste, j'accorde beaucoup d'importance à la précision.


Secondi examina le terrain dans les moindres recoins. L’entrepôt d’en face en piteux état. Les bidons rouillés. La fine bruine qui enrobait le spectacle. Tout foutait le camp, les zones portuaires et la grandeur de la France.
La politique du tumulte, p. 48
Oui, le mot juste et aussi le vocabulaire et le niveau de langage adapté à chaque moment du récit.
Ce que j'aime, c'est l’idée d’avoir écrit un roman français. J'aime ce qu'on représente, j'ai plutôt un sentiment de fierté, j’ai un côté un peu patriote. Mais les passages argotiques ne sont pas du tout intellectualisés.  Ils  correspondent aux endroits que j'ai fréquentés étant petit, les bars de la banlieue de Lyon. Là-bas, j'allais avec mon père dans des bars qui n'avaient pas la licence IV, on jouait aux cartes, il y avait des types qui vivaient dans les foyers Sonacotra, et ils parlaient comme ça. Tu recraches le réel que tu as filtré. J'ai vécu les milieux populaires de cette façon-là, avec ce phrasé-là.

On a l'impression que tu as pris un malin plaisir à faire le plus sophistiqué possible en termes d’intrigues et de personnages. Est-ce qu'il y avait de multiples thématiques que tu voulais aborder à travers les personnages, ou bien est-ce le contraire, es-tu parti des personnages?
Quand  je commence à écrire, j'ai l'histoire principale, le point de départ, le point d’arrivée, et le titre. J'écris sans plan. Si tu décides d'aller à Rome sans plan, tu y arrives, mais en passant par des chemins de traverse. Tu as toujours la ligne directrice, donc  tu retrouves toujours ton chemin, mais ton itinéraire peut s'égarer momentanément. C'est aussi la façon dont je travaille qui explique la structure complexe de l'ouvrage. Le deuxième point, c'est que je considère le monde dans sa complexité. Je ne raconte pas des histoires simples, mais le monde ne l’est pas. Aristote parlait bien de l’art poétique comme imitation…  L’écriture n’est pas un acte de simplification pour moi, tu offres certes une vision parcellaire du monde mais le style te permet d’assembler les grains de réel fantasmés afin de restituer une vision d’un monde complexe. Du côté du lecteur, il peut y avoir une forme de surprise, de difficulté d'accès. Mais après tout, il existe bien de grandes sagas romanesques populaires avec 80 personnages. Et puis si le lecteur recherche un thriller, qu'il lise un thriller. Je comprends qu'il ait envie d'une histoire bien huilée, structurée de chapitre en chapitre, un page turner. Mais ce que j'écris ne lui est pas adapté. Je pense qu'il faut lire La politique du tumulte d'un trait, ou en 2-3 fois maximum, pas plus.

A la lecture, on a le sentiment que tu dois  avoir des tas de fiches personnages, avec description, biographie, etc. Tes personnages sont immédiatement identifiables, on les "voit" tout de suite.
Certains lecteurs m'ont dit que j'avais une écriture visuelle, c'est sûrement vrai. Pas besoin d'une fiche avec toutes les caractéristiques du personnage, il suffit de lui trouver une attitude, en deux lignes on le tient. Quand j’ai démarré l’écriture, je me suis demandé comment j'allais décrire le personnage de Secondi.  A sa première apparition, il arrive, il se regarde dans le rétroviseur et se recoiffe du côté où il s'aime le moins.
Secondi lissait tous les matins sa raie du côté droit parce que, selon la théorie de l'image inversée, il préférait être vu sous son meilleur jour.
La politique du tumulte, p.26
On se coiffe presque tous dans le miroir du côté où on se voit, où on se trouve le plus agréable, alors que les autres nous voient à l'envers, en image inversée. Le fait même que Secondi ait réfléchi à cela en dit plus sur lui qu'une longue description.

Tu as construit ce livre autour du Colonel Secondi ?
A l’origine, le personnage central du livre était Léa, et le point de départ était l'affaire Ranucci. Il me fallait deux autres personnages : d’abord, un manipulateur, un homme de pouvoir,  car si on parie sur l’innocence de Ranucci, il faut aller au bout de la logique, ça ne peut être le fruit du hasard. Est apparu Secondi, qui est devenu le personnage principal. Et pour que Léa et Secondi se rencontrent, il me fallait Manu.

Justement, parlons de l’héroïne féminine. Léa est une victime jusqu'au bout, malgré le retournement de la fin...
Oui, c'est une pauvre fille, sa destinée est trop forte pour elle. Mais Manu aussi est une victime. Il n'y a qu'un personnage qui puisse appréhender la complexité du monde, et c'est Secondi. Dans le roman noir comme je le vois, il n'y a que des victimes et des assassins. Tout le monde a faim, il y a ceux qui ne sont pas assez voraces pour manger, et d'autres qui le sont, et ce sont eux qui s'en sortent. C'est ainsi dans tous les univers sociaux : en politique particulièrement, et dans la famille, qui est sans doute l'institution la plus violente que l'homme ait jamais créée. C'est à chacun de savoir ce qu’il veut  être: ce qui ne signifie pas que je sois un vorace dans la vie, je suis peut-être très soumis... Mais c'est ainsi que je le raconte.

L'aspect politique du roman te vient-il de ta formation en sciences politiques, du fait que tu travailles dans la politique ?
J'ai écrit le manuscrit avant de travailler dans la politique. J'étais en doctorat de sciences politiques. Mais il faut savoir que les sciences politiques et la politique, ça n'a rien à voir ! Si les chercheurs en sciences politiques passaient une semaine dans un cabinet politique, ils raconteraient probablement moins de conneries... La politique, c'est beaucoup plus basique, plus terre à terre.

Plus barbare ?

Pas plus qu'ailleurs. J'ai travaillé dans le monde de la recherche, les parcelles de pouvoir étant plus petites, la lutte y est plus forte. Dans le monde de la politique, il y a beaucoup de pouvoir à redistribuer. La lutte devient intense quand les enjeux sont supérieurs, quand il y a très peu de places, comme dans une élection présidentielle. Lutte intense, mais réglée entre camps rivaux. La lutte est barbare à l'intérieur d'un même camp. Elle est plus sanglante à l'intérieur d'une même famille, car il ne peut pas y avoir de survivants.

D'où ton intérêt pour cette période particulière de la campagne présidentielle ?
Dans La politique du tumulte, le fond de l'histoire n'est pas la guerre Chirac Balladur. Cette guerre, c’est le sous-sol du roman. La fiction vient y plonger ses racines et y puiser sa sève. Mais effectivement, c'est une période qui m'a fasciné. Chirac – que je n’admire pas particulièrement –  pour quelqu'un qui était méprisé par Giscard, était un véritable animal politique qui s'est servi de cette faiblesse pour commettre un vrai meurtre contre Giscard. Il y a quand même de fortes présomptions pour conclure qu'en 81,  il a fait voter Mitterrand, donc contre son camp, pour pouvoir être président un jour. A l'élection suivante, en 1988, il se fait déchirer avec un score sans appel (46% / 54%). Il se fait tuer sur le plateau du débat d'entre-deux tours par Mitterrand... "Vous avez tout à fait raison, M. le Premier ministre." Tout le monde se rappelle cet échange. En principe, après ça, il devrait être lessivé, mort, il a déjà été deux fois premier ministre. Et non ! Il revient, se met des lentilles, Claude Chirac ramène le prompteur utilisé par Reagan. En 1993, j'avais 16 ans, et cette période me fascinait. Dans ma famille, on était plutôt charmé par Balladur, et ils ont sûrement fini par voter Chirac. Mais ma première image télévisuelle remonte à quand j'avais 4 ans. J'ai vu un front apparaître, constitué de petits carrés. Au début on pensait que c'était Giscard. Et en fait c'était Mitterrand. Tout de suite, ça m'a donné envie de comprendre, avec un sentiment d'attirance/répulsion.

Comment as-tu commencé à écrire?
A l’école primaire, j'étais plutôt mauvais élève, j'avais du mal à apprendre, à lire, à écrire. En fait j'apprends par chemins détournés. Je n'aborde pas les problèmes par le centre, mais par la périphérie. Ce qui explique peut-être la structure du livre. Je n'ai pas beaucoup de certitudes, je ne crois pas en la vérité, je suis un relativiste dans l’âme...
Je suis venu à la littérature parce que mes parents étaient lecteurs. Ma mère était très "Le masque", et mon père très "Série noire". Je vivais avec ma mère, je pensais qu'il fallait absolument un avocat, des mocassins Sebago et une Jaguar ! Cette ambiance un peu anglaise, à la Agatha Christie pour schématiser. Mes premières petites histoires, que j'ai écrites vers 15 ou 16 ans, suivaient ce modèle-là. Mais je m'ennuyais... J'ai pensé à écrire après avoir lu L'étranger de Camus, j’avais onze ans. Vers quinze ans, j’ai commencé à écrire de la merde. Et à vingt ans, j'ai lu Le grand nulle part de James Ellroy. Là, j'ai compris qu'on pouvait écrire ce qu'on avait en soi, et ça a été une libération. Je crois que je n'ai qu'un auteur de référence, c'est James Ellroy. Ça tombe bien, lui n'a que Ross Macdonald !

Le dernier chapitre s'appelle « Rédemption ». Pourquoi ?
C'est un petit hommage à Ellroy. Mais je n'aurais pas dû l'appeler comme ça. J’aurais dû le baptiser  "Purgatoire". La scène finale n'est pas pour Léa, mais pour Secondi, c'est lui le héros. Certains lecteurs disent que cette fin est beaucoup trop noire. D'autres que c'est beaucoup trop fleur bleue . Au début, j’avais imaginé que Secondi  allait buter Léa. En fait, il doit la tuer mais il ne la tue pas. Car ça ne correspond pas à sa psychologie, à ses failles. Donc il ne fait pas ce qu'il doit. Et quand on agit mal, contrairement à sa morale, quand on ne fait pas ce qu’on doit, on va au purgatoire. Le purgatoire de Secondi, qu'il se fabrique lui-même, c'est de se taper Léa, mais pas comme un objet sexuel, comme une fille. Il doit la protéger. Tel est son purgatoire. Je trouve d'ailleurs que cette fin est beaucoup plus noire que si Léa avait été tuée par Secondi. Le roman noir, ça n'est pas la mort. C'est la vie. Et la vie est bien plus terrible que la mort. Léa est écrasée par sa destinée, Secondi est écrasé par un système qu'il a lui-même fabriqué, Manu est écrasé par sa condition sociale. Les trois personnages ont un espace de liberté très réduit. Mais à mon sens La politique du tumulte n'est pas vraiment un roman noir, plutôt un thriller politique ou un roman noir politique à la rigueur.

Qu’est-ce que c’est pour toi, le roman noir ?
C’est Goodis et sa Blonde au coin de la rue. Toutes les issues sont bouchées, la condition humaine dans toute sa splendeur, n’attendez rien d’autre de la vie. Ce livre est d’une rare puissance, un désespoir collectif qui s’incarne dans des destins individuels de condamnés. C’est mon préféré de Goodis, parmi ceux que j’ai lus. Chez moi, il y a quand même une mécanique de suspense.  Pour revenir à Ellroy, American Tabloid, pour moi, c'est un thriller, un thriller politique. J'aime Ellroy parce que j'aime les textes qui "envoient", et pas parce que je trouve qu'il écrit formidablement bien. J'ai beaucoup aimé toute la trilogie Lloyd Hopkins. Et surtout Le grand nulle part... Je n'ai pas beaucoup apprécié, par exemple, Le Dahlia noir, que tout le monde a encensé. Le seul que je n'aie pas lu, c'est un livre de commande je crois, Un tueur sur la route. Mais j'ai adoré tout le Quatuor de Los Angeles, White Jazz qui est son livre où la préoccupation esthétique est la plus forte - c'est le livre où il a viré pratiquement tous les verbes de mémoire. Dans la trilogie Underworld USA, j'ai une préférence pour American Death Trip, les répétitions qui résonnent dans la tête, c’est peut-être celui où j’entends le mieux la mécanique Ellroy. Ma part d'ombre aussi m'a infligé un vrai choc... Ses procédés narratifs m'ont sûrement influencé...  Bref, j'aime les trucs puissants, Mort à crédit, Le grand nulle part. Il faut que ça envoie, quoi.

Finalement, je ne suis pas si étonnée que ça que tu relises 50 ou 60 fois...
En fait, ce qui m'inquiète un peu, c'est la médiocrité. Parfois, tu te relis et tu trouves des trucs que tu n'aurais jamais dû laisser passer. Donc je travaille, c'est vrai, en réalité c'est un boulot de scribouillard. Je ne crois pas vraiment au talent comme un truc inné. Le talent, tu ne l'as que quand ceux qui sont légitimes à te labelliser te le donnent. C'est très relatif... Il faut travailler, y aller à fond, quoi que tu fasses. Si tu as un groupe de musique, si tu t'occupes d'une  colo avec des gamins, il faut le faire à fond, avoir de l'enthousiasme, de l'ambition, ne pas se contenter du petit truc. On n'a qu'une vie, il faut faire les choses avec sincérité par rapport à soi-même.

Comment te sens-tu dans ce monde de la littérature policière ?
Je ne me perçois pas du tout comme faisant partie du polar français, encore moins du thriller. Je suis un très petit lecteur, j'ai lu les romans noirs américains publiés par Rivages, et en plus très tard, en fin d'adolescence. J'ai lu du Manchette, du ADG, mais je ne me positionne pas dans une tradition. J'ai envie d'écrire, j'écris. Après, j’ai fait quelques salons, donc j'ai quelques potes. Et puis je travaille, je gagne bien ma vie, mes gosses ont de quoi manger, ils mangent, bien, tout va bien, donc l’argent n'est pas un enjeu. J'aimerais pouvoir ne faire qu'écrire, mais l'argent ne peut pas être un objectif. Et puis soyons clairs : quels sont les auteurs qui vivent de leur écriture, exclusivement de l’écriture ? Très peu. Combien vendent 10000, 20000 ou 30000 grands formats ? Si tu écris pour devenir riche, arrête tout de suite. Vends de la drogue, c'est risqué mais ça rapporte plus ! 
Moi, ce que je veux, c'est la reconnaissance. Donc apparemment, a priori, je me trouve dans le milieu du polar. Maintenant, je n'ai fait qu'un livre. Quand j'en aurai fait 20, peut-être que je ferai partie, par la force des choses, de ce milieu.

Est-ce que les réactions des lecteurs ont un effet sur ce que tu vas faire après?
Pour être franc, bien sûr, au début, les retours positifs sont importants. C'est "consolatoire", comme disent certains critiques en parlant des livres. Mais je n'ai pas beaucoup d'amour-propre, même si j'ai beaucoup d'estime de moi. Si on dit du mal du livre honnêtement, ça me va très bien, je n’ai aucun problème avec ça. Si c'est malhonnête dans la démarche, ça me va moins bien, pour une question de forme, pas de fond. Mais franchement, ça n'a aucun effet sur mon écriture.

Et le deuxième roman ?
A priori, en avril, pour des questions de "timing". A La Manufacture de livres, avec Pierre Fourniaud, celui qui m’a donné ma chance.

Ça va être une grosse surprise ? Ceux qui ont aimé le premier vont-ils aimer le deuxième?
Enorme, fantastique ! Du grand Médéline ! C'est un livre qui est construit pour ne pas être aimé, délibérément. La littérature, ça n'est pas une question sentimentale. C'est aussi une question d'intelligence, d’émotions fortes. Pourquoi on "aime" Guernica de Picasso ? Est-ce qu'on peut aimer Guernica sans reconnaître sa charge critique par rapport au monde ? On vit dans un monde où Michel Drucker et ses invités du dimanche, c'est notre univers « artistique », les chanteurs de variétés, les comiques, tout ça. C'est la domination politique de la connerie. Or pour prétendre être dans le champ artistique, il faut avoir une charge critique, soit par rapport au monde, soit par rapport au champ artistique dans lequel tu te trouves. Je pense qu'Ellroy apporte une forte charge critique par rapport au monde, qu'Ellroy est un génie pur de la littérature, par rapport à tout ce que j'ai lu et par rapport à ce que j'ai en moi. J'adore John Fante, Camus, ce sont de grands auteurs. L'objectif, ça doit être d'être un grand auteur. Etre un auteur, ça n'a pas de sens.
Chercher la reconnaissance, quand on y réfléchit, c'est pathétique, mais ça n'est pas grave. C'est un moteur. Quand tu écris, il vaut mieux avoir un peu d'ambition. Si tu écris pour vendre des livres sur un tourniquet d'Intermarché, à côté de la poissonnerie, ça n'a pas de sens : il vaut mieux faire autre chose. Les livres étaient de la culture, ils sont devenus des produits culturels, ce ne sont plus que des produits. Maintenant, si les gens aiment la merde, qu'est-ce que j'y peux... Ça n'est pas élitiste, c'est un constat.
Attention, je suis très capable d'acheter l'intégrale de Joe Dassin pour faire un barbecue en buvant du rosé en tongs. Mais je sais bien que ce n'est pas de l' « art », enfin ce sur quoi on pourrait se mettre d’accord pour dire qu’éventuellement c’est de l’art. C'est du divertissement, de la camaraderie si il y a un barbecue et du rosé. La littérature, ça n'est pas du divertissement. Je n'écris pas pour divertir. Je n'écris pas pour emmerder le monde non plus, mais j'aime qu'il y ait de la densité et de la complexité.

Il y a quelque chose de généreux en réalité dans cette démarche, celle de ne pas prendre ton lecteur pour un imbécile.
On m'a déjà objecté qu'il fallait avoir des égards pour celui qui achète le livre. Je pense que ne pas être exigeant avec le lecteur, lui donner le mode d'emploi d'emblée, c'est le mépriser, miser sur le plus petit dénominateur commun, la connerie. La lecture, ça n'est pas fait pour passer un bon moment. Si tu veux te divertir, tu vas faire un baby foot avec tes potes ou du shopping avec tes copines et puis basta !

Larry Fondation, qui écrit des choses très dures, dans un style exigeant, sur les bas-fonds de Los Angeles, reconnaît que ceux dont ils parlent ne le liront probablement jamais, et que cela lui pose un problème.
Mais ça n'est pas le problème de l'écrivain, c'est principalement celui de l’État, des pouvoirs publics. Ça n'est pas à l'auteur de leur donner les moyens de se cultiver. L’État doit s'occuper des gens qui sont dans la rue, pas les Restaus du cœur, ni les auteurs. Il suffit de mieux dépenser le fric prélevé sur les gens, du fric, il y en a. La dépense publique, c’est plus de 1100 milliards d’euros en France. Avec 1100 milliards, en théorie, tu as les moyens pour que tout le monde ait accès à la lecture. C’est une question d’ordre politique. Ce n'est pas mon rôle de faire en sorte que les gens aient accès à la culture. Il y a la famille, aussi, en tant qu’institution séculaire d’éducation, parce qu’il y a beaucoup de gosses qui ne sont pas confrontés à des difficultés sociales, économiques, et qui n’ouvrent jamais un livre. Il y a des institutions pour ça. Mais il y a une vertu pédagogique à la littérature, c'est sûr, pour ceux qui y ont accès, c’est émancipateur.

Pour finir, une petite question qui me démange sur l'aspect romantique de l'histoire entre Léa et Manu.
Je suis fleur bleue, je suis chamallow. Je vis depuis plus de vingt ans avec la même fille, j'y crois vraiment. Le sentiment amoureux, c'est quelque chose d'important, ça peut être multiforme, ça peut même être tragique. J’ai grandi avec elle, je me suis construit avec elle, depuis tout jeune, c’est comme une sœur, en mieux. De ce que je connais de la vie, je sais que l'amour est possible même dans des conditions difficiles. Ellroy le dit, un peu, beaucoup, dans un livre, dans la vie, il faut une femme...

Oui, par exemple dans La malédiction Hilliker, où il se montre sous son aspect le plus cabot.
Oui, Ellroy est un peu cabot. Je suis plutôt chat. Fourbe. Stratège. Je calcule. Il y a un peu de Secondi en moi, et vice versa.

François Médéline, La politique du tumulte, La manufacture de livres

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles récents