13 février 2013

William McIlvanney et son Laidlaw, précurseur du "Tartan noir"?

Flash-back, 1977, l'année du punk roi, Glasgow. William McIlvanney, presque 40 ans, fils de mineur, né à Kilmarnock, ex-prof d'anglais à l'université, publie Laidlaw, un polar singulier. A l'époque, le roman policier n'a pas encore gagné sa place au Panthéon littéraire, et Laidlaw surprend d'autant plus qu'auparavant, McIlvanney a publié trois romans de littérature "blanche", comme on dit, trois romans à résonance fortement sociale qui ont obtenu un succès d'estime et qui lui ont valu le respect de ses pairs.  Alors pourquoi Laidlaw?

Avec le recul, McIlvanney dira qu'il n'avait pas pour but d'écrire un roman policier. En effet, Laidlaw ne suit pas les schémas de l'époque : dès le début, on connaît l'assassin, on a une petite idée de son mobile, même si on n'est pas au bout de ses surprises. En revanche, il n'est pas question de sauter une ligne de la prose de McIlvanney, ce qui a pu nous arriver pour certains polars de l'époque... Car en plus de son approche originale du roman criminel, McIlvanney a un style, et quel style! Des comparaisons apparemment incongrues qui s'avèrent d'une exactitude confondante, des raisonnements tordus et finalement convaincants, des images inattendues mais dont se dit : "oui, c'est ça, c'est exactement ça!" On ne s'étonnera pas d'apprendre qu'il est également poète... Quand Laidlaw est sorti, les critiques lui ont reproché de n'être pas linéaire, de ne pas suivre le fil de l'enquête. Qu'importe : il est clair que McIlvanney n'avait aucunement l'intention d'écrire un "whodunit"... Un peu oublié aujourd'hui, il semblerait que 2013 soit l'année du retour : son éditeur anglais s'apprête à rééditer ses romans, et il sera invité au grand Festival de Harrogate en juillet prochain, où il sera interviewé par nul autre que ... Ian Rankin, son fils spirituel à bien des égards.

Alors voilà. Nous sommes à Glasgow, fin des années 70, et une jeune fille vient d'être retrouvée assassinée et violentée dans un parc de la ville. Dans le chapitre I, nous suivons un jeune homme, mort de peur et de désespoir, perdu dans cette ville dont il sent la haine et la menace. Il fuit, il se fuit, car il vient de commettre l'irréparable. Mais s'il se sent à ce point seul et haï par tout ce qui l'entoure, ce n'est pas seulement à cause de ce meurtre qu'il vient de commettre. Pendant ce temps-là, l'inspecteur Laidlaw rumine au commissariat central de Glasgow. Il vient de passer la nuit à battre la semelle en espérant un beau flagrant délit, en vain. Ca met de mauvais poil... D'autant plus que clairement, Laidlaw n'est pas très populaire parmi ses collègues. C'est que nous n'avons pas affaire à n'importe qui. Laidlaw est un intello, voire un philosophe, et il a sur les situations des points de vue qui lui sont très personnels. Ce qui ne lui vaut pas que des amis. Vous allez me dire qu'après tout, un flic un peu ronchon, misanthrope, infidèle, ça n'est pas si original. Attendez, je vous explique un peu. Voilà ce que sa femme pense de lui : "Chevalier errant de la Brigade criminelle (...) Le problème avec lui (...), c'est qu'on ne savait jamais si on était la princesse ou le dragon." Et voilà comment il accueille le jeune agent Harkness, qui va le seconder dans son enquête, et qu'il ne trouve pas assez discret à son goût : "J'étais en train de penser que ce serait plus discret de travailler avec la musique de la police, avec cornemuses. Au fait, vous vous habillez où? Au magasin des policiers en civil?" Sympa.

L'enquête démarre,  comme il se doit, chez les parents de la jeune victime. Bud Lawson, le père, est une sorte de brute qui n'a qu'une idée : faire la peau de l'assassin. Quant à sa mère, c'est une fontaine. Pas grand-chose à en tirer, sauf à comprendre très vite pourquoi la jeune fille n'avait qu'une envie: sortir de chez elle. Pourquoi aussi elle mentait à ses parents. Car le soir de sa disparition, elle n'était pas là où elle avait dit se rendre. Pendant ce temps-là, dans les hauts lieux de la pègre de Glasgow, c'est le remue-ménage. Car tout le monde sait très vite qui a tué la jeune fille : c'est le jeune Tommy Bryson, l'amant de Harry Rayburn, un des acteurs en vue du milieu. Pas question que ça se sache : fin des années 70, l'homosexualité est encore une chose honteuse. Objectif : éliminer Tommy. Du coup, l'enquête de Laidlaw et Harkness prend une étrange tournure : plutôt que d'arrêter l'assassin, il s'agirait plutôt de le retrouver avant qu'il ne tombe dans les griffes des bandes rivales qui veulent sa peau. Ce qui est quand même peu ordinaire dans un roman policier... C'est là, entre autres, que McIlvanney s'écarte résolument des polars traditionnels : il est le roi des sentiments d'entre-deux, de l'incertitude, tout le contraire du justicier qui sait exactement où est le bien et où est le mal. Laidlaw est un vrai marginal, un vagabond des villes, un chevalier désespéré... McIlvanney choisit de nous entraîner derrière les portes, dans les bas-fonds, les pubs mal famés, il choisit de nous parler d'homosexualité à une époque où ça n'est pas à la mode, de nous décrire l'isolement et le désespoir de ce jeune assassin complètement paumé. Bref, ce chevalier n'est pas un justicier moraliste. C'est un acteur / spectateur lucide et vagabond de la grande ville cruelle et violente.

William McIlvaney, Laidlaw, traduit par Jan Dusay, Rivages / Noir

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