21 octobre 2012

Avec Le Démon, Ken Bruen nous donne un avant-goût de l'enfer

On l'a échappé belle ! Un peu plus et Jack Taylor se retrouvait aux Amériques, ce qui ne m'aurait pas convenu du tout. Car ce qu'on aime chez ce bon vieux Jack, c'est l'Irlande, Galway plus précisément, c'est le Jameson et la Guinness, les pubs à l'ancienne, sans chichis branchés. Donc, égoïstement, on est bien content que Jack Taylor se soit vu refoulé par la police des frontières au moment où il se préparait à embarquer pour les Etats-Unis. Pour la deuxième fois, si on se souvient bien. Il faut dire que depuis un moment, Jack ne se sent pas dans son assiette. "Ma tentative de fuite aux States avait pour but de mettre derrière moi mon passé minable de trouduc privé." Plus clair, on ne peut pas. Mais voilà, si Jack Taylor a ses démons, la vie lui réserve la rencontre majeure, celle qu'il nargue depuis un bon moment, la confrontation avec LE démon. Oui, Satan, le diable, Lucifer, Belzébuth, quelque soit le nom que vous préférerez lui donner.
Tout commence quand Jack est interpellé au bar de l'aéroport par un grand type à mèche blonde, à l'accent vaguement germanique. Jack n'est pas d'humeur à bavarder, on le comprend. La mèche blonde, si. La mèche blonde se présente sous le nom de Kurt, ou Mister K. Et Kurt agace franchement Jack, en même temps qu'il l'inquiète, car apparemment il le connaît bien, et il lui promet qu'il n'en a pas fini avec lui... Pour couronner le tout, au moment où Jack prend ses jambes à son cou pour quitter l'aéroport, colère, malaise et rage au cœur, une charmante hôtesse l'arrête et l'avertit que Mèche blonde l'a à l’œil depuis un bon moment, et qu'il devrait se méfier. Mais on connaît notre Jack : plus on le met en garde, plus vite il va se fourrer dans la gueule du loup. Et ça ne fait pas un pli. Il n'a pas plus tôt trouvé où crécher, dans un lieu improbablement baptisé l'île de la Nonne, que l'enfer semble se matérialiser autour de lui. Il entame une enquête sur la disparition d'un étudiant, et voilà qu'on retrouve le pauvre bougre mort, pendu par les pieds et torturé. Marqué dans sa chair d'une empreinte qui ne laisse guère de doute sur l'origine de son martyre. Mister K n'est pas loin.
Et ça continue : assassinats, rituels de magie noire, tout y passe. Le drame semble vouloir s'abattre sur tous ceux qui, pour leur malheur, entourent encore Jack Taylor. Jack aurait-il trouvé son maître ? Non, il a trouvé LE maître, le Seigneur du mal... et ça ne va pas être triste.

Eh voilà, la magie (noire?) Ken Bruen a encore fonctionné. Son style est de plus en plus énervé, son humour de plus en plus corrosif, sa narration de plus en plus abrupte, sans superflu, même si son personnage principal ne va pas en rajeunissant. Jack Taylor vieillit, il le sent et il a horreur de ça. Mais il a de beaux restes, Jack, il a gardé sa hargne, sa révolte et ses meilleurs amis: sa bibliothèque, sa musique et son cocktail préféré, Jameson / Guinness / Xanax, avec en prime une petite rechute du côté du tabac, celui qui arrache. Fidèle à ses bonnes habitudes, Bruen nous abreuve de clins d’œil littéraires, dont un m'a fait particulièrement plaisir : celui qu'il adresse à Cathi Unsworth, ex-journaliste et auteur de polar dont j'ai déjà dit tout le bien que j'en pensais dans ces pages. Et la bande sonore du roman, de haute volée : Gretchen Peters, Johnny Duhan, Tom Russell pour commencer, sans oublier quelques piques malicieuses à Bono, que Bruen semble avoir dans le collimateur. Bref, l'univers de Bruen se recrée dès les premières lignes, et se referme autour du lecteur avec en prime, un combat frénétique contre le mal qui catalyse les préoccupations religieuses du héros (et de l'auteur?), un constat amer sur la situation de l'Irlande, et une interrogation rageuse sur la condition humaine. Dans ce roman, Bruen nous rappelle, mine de rien, qu'il est docteur en métaphysique... Nous en sommes à la huitième enquête de Jack Taylor, dans une série qui doit en compter dix. Après cette rencontre avec le Malin, Bruen pourra-t-il aller plus loin?

Ken Bruen, Le Démon, traduit de l'anglais par Marie Ploux et Catherine Cheval, Fayard

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