26 juillet 2012

Jacques Expert, "Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils" : une tragédie construite au cordeau

Vous vous rappelez le film de Chabrol, Que la bête meure ? C'est à ce film que j'ai pensé tout au long de ma lecture de ce roman. Au début du film et du livre, un enfant, très jeune, joue sur une petite route, pas bien loin de chez lui. Quand une voiture le fauche et le tue... Avec un sujet pareil, tous les dérapages sont à craindre. Chabrol ne dérape pas, Expert non plus. Ce roman à la fois tragique et déconcertant est écrit à quatre voix : celles du père et de la mère de l'enfant, celles de l'assassin et de sa femme.
Jacques Expert réussit une belle création de salaud ordinaire en la personne de Jean-Pierre Boulard, directeur commercial, domicilié dans une banlieue cossue, pourvu d'une femme, Christine, et de deux enfants. Ce soir-là, il rentre chez lui, il est un peu en retard, un peu ivre aussi, il va encore se faire engueuler par sa femme... Bien à droite, devant lui, un enfant roule sur son vélo. Le téléphone sonne, Boulard décroche, il fait un écart, il sent un petit choc. Il s'arrête, regarde devant, derrière. Rien. Enfin si. Le vélo du gamin gît là-bas, dans le champ de maïs. Et le petit garçon est là, tout près, du sang gicle de sa bouche. Boulard ne réfléchit pas longtemps : il remonte dans sa voiture, passe à la station service pour la laver et éliminer les traces les plus visibles de l'accident, puis file chez lui. Ce n'est que le lendemain matin qu'il comprend, en allant travailler, que non seulement l'enfant est mort mais qu'en plus il s'agit du fils d'un des caristes de la boîte où il travaille, Antonio Gomès. Commence alors une macabre tragi-comédie, où Jacques Expert brosse le portrait au vitriol de Boulard, le beauf parfait, veule, macho, sûr de ses qualités de manager exigeant et qui se vante de savoir se faire respecter, mais qui vit chez lui une sorte de petit enfer conjugal auprès d'une femme qui ne l'aime plus et qu'il n'aime plus depuis longtemps, mais à laquelle il est fidèle parce qu'il faut bien... Ce type est une création de cauchemar, et pourtant il est tellement réaliste qu'il nous rappelle forcément quelqu'un qu'on connaît. Quant à Christine, elle le regarde, elle le hait, mais c'est le père de ses enfants. Et pourtant sa haine se fait chaque jour à la fois plus sourde et plus violente. De l'autre côté, Antonio Gomes et sa femme, couple martyre, traumatisé et uni dans l'horreur, et qui ne communique plus qu'à travers la volonté de vengeance. L'histoire, douloureuse, se déroule devant nous, lecteur impuissant, en une lente et implacable progression. Alors bien sûr, on s'inquiète, on ne peut pas lâcher le livre avant de savoir : le coupable sera-t-il puni? Mais ce qui reste après la lecture, c'est l'impitoyable cruauté des relations qui unissent tous ces personnages, les faux-semblants, le mensonge, l'inconscience, la haine qui monte, la lâcheté invraisemblable. Et aussi un certain trouble : car si Jacques Expert choisit cette narration à quatre voix, on ne peut pas s'empêcher de se demander ce que dit sa voix à lui, dans cette histoire dont les enjeux sont essentiels à la nature humaine.
Jacques Expert, Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils, éditions Anne Carrière, également disponible en Livre de poche

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