15 juillet 2012

Ian Rankin, en toute liberté (2e partie)

Et voilà, enfin, la 2° partie de notre interview "free style" avec Ian Rankin. Plutôt que de l'assaillir de questions, nous avons préféré le laisser parler de ce qui lui tenait à cœur. La musique, le roman policier et ses auteurs, le mal... Tout un programme.

Avec en prime, une belle définition du roman policier.

Et si vous n'avez pas lu la première partie, allez-y vite en suivant ce lien !


LA MUSIQUE

La musique est très importante dans votre vie, comme chacun sait. Jouez-vous d’un instrument ?
Non.  Plus jeune, j’ai essayé la guitare et le piano, mais je n’ai pas les gênes pour ça ! Mon fils aîné, lui, les a: il a appris la guitare et le piano très vite. Moi, je n’y arrive pas. Et je suis très jaloux des musiciens.

Mais eux ne savent pas écrire !
C’est ça qui est intéressant. On rencontre un peintre et il voudrait être écrivain. On rencontre un écrivain et il aurait voulu être musicien… Personne n’est jamais vraiment satisfait de son sort. La musique est très importante chez Rebus parce que c’est un bon moyen de dessiner un personnage. Les goûts musicaux en disent long sur la personnalité d’un personnage. Dis-mois ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es… Histoire, classe sociale, nature triste ou heureuse… La musique est une sténo formidable.

Rebus a remplacé sa vie de famille par la musique, le pub, et les livres qu’il n’a pas lus.
Ça, c’est tout moi ! J’ai d’énormes piles de livres que je n’ai pas encore lus. Je préfère aller au pub plutôt que travailler, m’acheter 10 albums par semaine, des vinyls surtout. Pas d’internet, pas de téléchargement, pas de streaming, pas d’Ipod. Je veux l’objet physique, le vinyl si possible ! A cet égard, Rebus, c’est moi !
Mais je suis aussi Malcolm Fox. Je ne suis pas un marginal, je ne transgresse pas les règles, je n’aime pas le danger. Rebus adore choquer les gens, surtout ses chefs.  S’ils lui demandent de faire une chose, il fera le contraire. Moi, si on me dit de faire quelque chose, je le fais ! Je déteste transgresser les règles. C’est pour cela que je prends un tel plaisir à écrire sur Rebus, parce que dans la vraie vie je ne suis pas comme ça.

ROMANS POLICIERS ET AUTEURS DE POLARS

Parmi les auteurs de polars que vous connaissez, quelle relation y a-t-il entre eux-mêmes et leurs personnages ?
Je rencontre beaucoup d’auteurs de polars, et ils ne ressemblent pas à leurs personnages. Michael Connelly n’est pas du tout comme Harry Bosch, James Ellroy ne ressemble pas à ses personnages,  Ruth Rendell n’a rien à voir avec Wexford. Il n’y a que PD James qui ressemble à son Dalgliesh. Elle dit que Dalgliesh représente son homme idéal. Son mari est rentré de la guerre complètement perturbé, il ne pouvait plus fonctionner en société. Il est même allé en hôpital psychiatrique. PD James en parle dans son autobiographie. Elle a remplacé son mari par Dalgliesh. C’est pourquoi elle y a mis beaucoup d’elle-même, à mon avis.
J’adore les livres, mais je n’ai pas toujours envie de connaître la vie des auteurs. Je lis Léo Malet, mais je ne veux pas connaître sa vie, je m’intéresse bien plus à ses personnages. Même chose pour Simenon.

Dans Plaintes, vous parlez de la logique et de l’intuition dans le travail d’investigation. Comme Conan Doyle…
Le roman policier exige un processus rationnel que le lecteur va pouvoir suivre. Mais dans la vraie vie, les crimes sont souvent résolus à cause de coïncidences, d’accidents, ou grâce à l’intuition. Il faut trouver l’équilibre, s’assurer que le lecteur ne se sent pas floué en apportant un peu de réalisme. Ça ne m’intéresse pas d’écrire des romans à énigmes, avec toute une série d’événements structurés qui ne servent qu’à tromper le lecteur. Aucun intérêt. J’aime bien si, à la fin d’un roman, tous les mystères ne sont pas résolus, parce que la vie est comme ça.

Exactement ce que les critiques n’aiment pas…
Tout juste, d’ailleurs, beaucoup de lecteurs n’aiment pas ça non plus. Mais souvent, ceux qui critiquent le roman policier l’accusent d’être trop structuré, trop fermé, avec des réponses à toutes les questions. Moi, quand je lis un roman policier « classique », du genre Agatha Christie, je commence par la fin, pour être libre de profiter de l’intrigue, de la langue, des personnages, etc.  Et si on me dit : « A la page 10 je connaissais le coupable », ça me va très bien, parce que pour moi l’essentiel c’est le thème, la société, le pays, la ville, les personnages. J’ose espérer que dans mes romans, il y a plus que des énigmes…

Parmi vos confrères contemporains, de qui vous sentez-vous le plus proche ?
Je dirais George Pelecanos. Il s’intéresse beaucoup à la politique américaine, aux petites communautés qui vivent dans cette grande nation, à l’impact du passé sur le présent, aux problèmes sociaux, à la morale. En fait, il nous donne pour ainsi dire une histoire parallèle de la région du pays où il vit.

Un peu comme Ellroy ?
Non. Pour Ellroy, la peinture se fait sur une toile gigantesque. Pour Pelecanos, ce n’est pas le cas. A mon sens, Ellroy veut en faire trop. Il ne parle plus de sa communauté. Avec lui, c’est l’assassinat du Président qui fait le centre de l’histoire. Il veut choquer. George est beaucoup plus attentionné… Ellroy porte un masque, celui de sa personne publique. J’ai dîné avec lui, et c’est un homme calme, courtois. Mais dès qu’il monte sur scène, dès qu’il donne une interview, il devient un personnage ! Il pense que c’est ce qu’on attend de lui. Et il fait ce qu’il faut… 
Je m’intéresse davantage à des gens comme Ruth Rendell, qui s’efforce de comprendre pourquoi un home ordinaire fait quelque chose de mal, et ce que cela dit de notre société. Autrefois, Stevenson était bien conscient de cela quand il a écrit son Dr Jeckyll and M. Hyde. Les gens cachent leur véritable personnalité. Je pense que n’importe qui peut devenir un assassin. J’y réfléchissais justement hier soir.  Si un type menaçait ma femme ou mon fils avec un couteau, si j’arrivais par derrière avec un flingue, est-ce que j’appuierais sur la gâchette ? Bordel, oui, tout de suite ! Je n’en aurais rien à faire de l’histoire de ce type, j’appuierais sur la gâchette. Même PD James le dit : dans des circonstances particulières, nous sommes tous capables de tuer.

Mon père a fait la guerre en 39, il avait 17 ou 18 ans. C’était un petit épicier, et du jour au lendemain on lui a donné un flingue et on lui a ordonné de tirer sur des étrangers, des gens qu’il ne connaissait pas du tout. En temps de paix, on va en prison si on fait cela…  Après, on lui a retiré son uniforme et son flingue, et il fallait qu’il redevienne un petit épicier… Comment a-t-il fait ? Je ne sais pas, mais en tout cas il y est arrivé. Je suis né 15 ans après la fin de la guerre, et il avait tout enterré en lui, bien profondément. Et ça marchait. Il y a quelque temps, j’ai tourné une série télé sur le mal. On y parlait d’un village français où les SS ont obligé les habitants à tuer les villageois d’à côté. Ils ont demandé à ceux qui ne voulaient pas de faire un pas en avant.  Plus tard, un historien américain a retrouvé les gens de ce village et posé la question : « pourquoi n’avez-vous pas fait ce pas en avant ? » Certains ont répondu : « Parce que mon voisin ne l’a pas fait… » Parfois, le mal vient juste du fait de ne pas agir, de ne pas faire le pas en avant.

Et c’est justement ce que fait le roman policier : il nous dit ce que nous sommes capables de faire.




A suivre le mois prochain ...

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