5 février 2012

Les Anges de New York, de RJ Ellory : de l'obsession à la rédemption

C'est toujours à la fois émouvant et effrayant que d'ouvrir la première page du nouveau roman d'un auteur qu'on aime beaucoup. Cette fois n'a pas fait exception. Les Anges de New York commence par... des remerciements. RJ Ellory y rend hommage à Norman Bolwell, policier anti-terroriste anglais, mais surtout "l'homme qui pour mon frère et moi a été celui qui ressemblait le plus à un père." Ces quelques lignes ont leur importance, vous comprendrez pourquoi en lisant le roman.

La première chose qui frappe en commençant la lecture, c'est le style, sa brutalité à la hauteur de la scène d'ouverture, sa puissance évocatrice. Je peux vous raconter cette scène sans me sentir coupable de déflorer quoique ce soit, car toute sa richesse est dans l'écriture, et dans ce domaine, Ellory devient au fil des romans de plus en plus impressionnant. Frank Parrish vient d'entrer dans une salle de bain. La baignoire est pleine de sang, et au milieu de ce sang, Thomas Franklin Scott, 24 ans, ex-indic, et sa petite amie Heather, la cuisse lacérée par un profond coup de rasoir. Il y a du sang partout, Thomas a perdu la raison. Et voilà Jim Morrison qui prend la parole : "Is anybody in ? The ceremony is about to begin..." C'est la fin pour ces deux-là, malgré Frank qui fait ce qu'il peut, essaie tout, propose à manger, rappelle à Tom qu'ils se connaissent depuis longtemps. Tom n'est plus là, il meurt le sourire aux lèvres, Heather n'est plus là non plus, et Frank Parrish ? Où est-il ?
Ces pages-là, vous ne les oublierez pas de sitôt. Et si vous êtes arrivé au bout, vous êtes fichu, accroché, condamné à aller jusqu'à la fin de ce nouveau tour de force signé Ellory. Quand on lit certains thrillers, même les plus horribles, on ressent une sorte de plaisir éphémère, comme la peur qu'on éprouvait enfant en lisant les histoires d'ogres, de monstres et de grands méchants loups. Avec ce livre, ce plaisir-là n'est pas de mise. Nous sommes plutôt à l'heure de la mise à nu, de la colère, de l'obsession.

Frank Parrish est flic. Et après une telle scène, il n'a rien d'autre à faire que de se réfugier chez Eve, son amie. Elle est prostituée, et après ? Après tout, "on baise tous pour de l'argent." Tel est l'état d'esprit de Parrish en sortant de chez Eve. Frank va mal, physiquement, mentalement. Frank voit une psy avec laquelle il entretient un rapport ambivalent, agressif mais respectueux à sa façon, malgré les mots très durs qu'il utilise avec elle. S'il voit une psy, vous vous doutez bien que ce n'est pas par hasard. Frank Parrish a bien failli se retrouver à la porte de la police New Yorkaise.Il a perdu son équipier au cours d'une opération dont les tenants et aboutissants restent un peu troubles. Pour certains, il est même responsable de la mort de son collègue. Il le vit d'autant plus mal qu'il est le fils d'un des flics les plus respectés du NYPD, un des mythiques "Anges de New York", réputés pour avoir tenu la dragée haute à la mafia, ce qui n'est pas rien. Parrish est donc condamné à vivre avec cette image paternelle héroïque, et c'est d'autant plus difficile que lui sait qui était véritablement son père... certainement pas un héros irréprochable, encore moins un ange. Si on ajoute que Parrish est divorcé et alcoolique, on aura fait le tour du personnage, tout au moins en surface. Pourtant, un rai de lumière force sa voie dans la chambre noire de Frank Parrish : sa fille Caitlin.

Comme vous voyez, il ne fait pas bon être Frank Parrish. Son nouvel équipier, le jeune Radick, avec lequel Parrish va bientôt nouer une intéressante relation néo-paternelle, va vite s'en rendre compte. D'autant qu'ils vont se retrouver confrontés à l'assassinat brutal d'une jeune fille, Rebecca, la soeur d'un dealer passé lui aussi de vie à trépas. Un fait divers de plus à New York... jusqu'au jour où intervient un deuxième meurtre. Ces assassinats commencent à ressembler à une série, et Parrish n'aura de cesse d'aller au bout de la nuit, jusqu'à l'assassin, tête baissée. L'enquête est minutieusement racontée, Parrish littéralement disséqué sous la plume de Ellory. Son empathie envers les jeunes victimes, sa haine pour ceux qui sont responsables de cette violence sont particulièrement émouvantes.

On sait à quel point RJ Ellory aime l'histoire de l'Amérique, il l'a montré dans Vendetta et dans Les Anonymes. Là encore, il pousse jusque dans ses derniers retranchements la ville de New York, et plus particulièrement l'histoire effarante de la construction de l'aéroport JFK; il nous révèle les dessous des transactions criminelles qui ont présidé au projet, et fait là encore preuve d'un souci de vérité, d'une volonté d'aller jusqu'au bout, jusqu'à l'os, pour arriver au cœur de l'humanité. Difficile de terminer cette chronique sans revenir à l'écriture. Dans Les Anges de New York, Ellory s'en donne à cœur joie. Passages narratifs épiques, chapitres entiers tout en dialogues, descriptions à la fois brutales et lyriques de la ville, suivi rigoureux de l'enquête, portraits psychologiques sans pesanteur... il réussit le tour de force de transformer ce qui aurait pu être un polar procédural réussi en un roman flamboyant, clairvoyant, coléreux et profondément humain.

Roger Jon Ellory, Les Anges de New York, Sonatine, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau, en librairie en mars 2012

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