13 novembre 2011

Jeanne Desaubry : "Les serial killers sont les ogres des temps nouveaux." Entretien

Si vous avez lu notre chronique de Dunes froides, le troisième roman de Jeanne Desaubry paru chez Krakoen, vous savez déjà que ce roman nous a émus en même temps qu'inquiétés. Nous avons voulu en savoir plus sur son auteur, et elle a accepté de répondre à quelques questions. Merci à elle !


Le Blog du polar : Dunes froides est votre troisième roman. Comment êtes-vous passée de l’écriture “pour soi” à l’aventure romanesque et à la publication ?
 Jeanne Desaubry : La publication, pour le partage, pour l’entrée dans le monde magique des livres, était un rêve de toujours. Avant de tenir dans mes mains un livre, un vrai, avec mon nom dessus, avant ce moment-là… il y a eu tous les cahiers d’écolier décorés, toutes les plaquettes bricolées, puis des concours de nouvelles, des participations à des sites… Il fallait qu’un jour je me jette pour de bon dans le bain, et l’illumination a eu lieu l’année de mes 44 ans. C’était mainenant ou plus jamais.

Le Blog du polar : Pourquoi le choix du roman noir ?
Jeanne Desaubry : Je n’en voyais pas d’autres. Pour parler du présent, des gens, des souffrances, des choses importantes : l’amour, le sexe, la mort : y a-t-il autre chose que le roman noir ?

Le Blog du polar : Quelle est votre démarche quand vous démarrez un roman ? Partez-vous d’un sujet sur lequel vous voulez écrire, d’un lieu, d’un événement ou d’une personne qui vous inspire ?
Jeanne Desaubry :  Pour le roman que j’ai à l’ouvrage, je suis partie d’une longue, lente et profonde révolte devant le sort réservé aux femmes à peu près partout dans le monde : dans le milieu du travail, dans la famille, en politique, … Mais cela ne s’est pas fait sur une décision ; je suis essentiellement quelqu’un qui  fonctionne au niveau du sensible. Aussi, ce sont des personnes, des situations, dont j’ai eu envie de parler. Ces femmes harassées qu’on voit dans le métro avec des cabas, dont parle excellemment Florence Aubenas dans Quai de Ouistreham. Ce qui se passe quand ça craque…

Le Blog du polar : Votre intrigue est-elle très construite dès le départ ou bien la bâtissez-vous au fur et à mesure de la progression de l’écriture ? Ou bien avez-vous un plan bien ficelé, que vous vous empressez d’abandonner ?
 Jeanne Desaubry : Je fais toujours des plans extrêmement précis, des découpages, quasi des plans séquences… et tout fout le camp dès le troisième chapitre. Je suis embarquée par la nature des personnages, les dialogues… et je me recadre sans arrêt. Alors après, il faut réécrire, retailler, couper, remodeler. Sacré boulot.

Le Blog du polar : Dans Dunes froides, vous avez choisi un paysage sévère, qui ne laisse guère de place à l’optimisme. Pensez-vous que soleil et roman noir ne font pas bon ménage ? 
Jeanne Desaubry : Mon précédent roman, Le Passé attendra, se passe à Draguignan, au début de l’été, cela déborde de cigales, de fleurs et d’incendie de forêt… La météo ou la géographie ne changent qu’à la marge le cœur des hommes, ou des femmes… En même temps, si ce précédent roman est plus solaire, moins sombre, il n’est pas férocement optimiste. Mon héroïne perd quelques plumes au cours de l’aventure qu’elle vit.

Le Blog du polar : Le personnage de Martha est une victime ambiguë, elle est surtout victime des hommes. Faut-il y voir une approche féministe ?
Jeanne Desaubry : Martha est victime des hommes, mais probablement aussi d’elle-même. Elle n’a pas su sortir de la douleur. Ne pouvant se conformer au modèle attendu, la petite machine s’est déréglée. Alors Martha n’arrive pas à vivre. Cela aurait pu se passer autrement.
Je n’ose qu’à demi m’avouer féministe, mais oui, sans doute. Je suis trop consciente du sort fait aux femmes dans le monde. Il n’est qu’à regarder les révolutions arabes, ce printemps qu’elles ont porté et qui se clôt sur le retour de la charia.

Le Blog du polar : Que pensez-vous du foisonnement des publications en matière de roman noir / roman policier, et de l’engouement actuel pour le polar ?
Jeanne Desaubry : Si c’est pour Mary Higgins Clarck, ou les pitoyables bégaiements de Patricia Cornwell, je ne peux que me désespérer qu’ils aient autant de succès. Mais il y a tous les auteurs talentueux qui prennent des risques, les Leroy, Bordaçarre, qui jouent avec le style, comme Pouy ou Obionne… Mille quatre cents nouveautés par an, dans l’océan de livres qui paraissent chaque année en France, ce n’est pas si insurmontable. On pourrait presque en lire la moitié.

Le Blog du polar : Quelle est votre position face à la montée en puissance du thriller ultra-violent, pour ne pas dire “gore” ?
 Jeanne Desaubry : Personnellement, je n’y trouve aucun intérêt. La surenchère de violence, de pédophilie, de barbarie de certains auteurs me semble juste cacher une impotence créative attristante. En même temps, mes contemporains ont besoin de se faire peur pour être rassurés quand ils bloquent la porte avant d’aller dormir. Les serial killers sont les ogres des temps nouveaux.

Le Blog du polar : Pour terminer, aimeriez-vous évoquer en quelques lignes un auteur du passé (proche ou lointain) qui vous a particulièrement marquée, ou qui aurait influencé votre écriture et votre décision de devenir écrivain ?
Jeanne Desaubry : Mon rêve de devenir « écrivain » remonte à mes toutes premières lectures de 5/6 ans… Peut-être même Enid Blyton . Puis les romans de cape et d’épée, et même les séries cul-culs larmoyantes… Non, ce qui m’a vraiment appris ce que j’aimais, vraiment, c’est James Ellroy, avec la trilogie Lloyd Hopkins, que j’ai lue dès sa sortie grâce à un amateur de polar qui me l’a mise dans les mains d’autorité. Depuis American Tabloïd, je ne le lis plus, mais cette période-là de James Ellroy a été comme un rocher tombé sur mon chemin. Il m’a obligée à prendre un autre sentier. Je n’ai pas repris le droit chemin depuis.

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