24 avril 2011

Philip Kerr - La trilogie berlinoise, l'Allemagne des années 40 à la sauce polar

Je ne vous étonnerai pas en vous apprenant que cette trilogie est composée de... trois romans. Philip Kerr est un auteur anglais né en 1956 à Edimbourg. Cette suite de romans noirs sortis entre 1989 et 1991 se passe bien sûr à Berlin et a pour héros Bernhard Gunther, successivement détective privé et flic. Philip Kerr a choisi de situer ses romans entre 1936 et 1947 : c'est dire que le contexte historico-politique est d'une importance capitale dans ses histoires. Son passé d'ancien journaliste l'a sans aucun doute aidé à reconstituer de manière magistrale la vie à Berlin, de la décadence à la débâcle, avec ses bons (rares), ses méchants (nombreux), et tous ceux qui n'entrent dans aucune de ces catégories, comme c'est souvent le cas dans la vraie vie ! Hommes et femmes, leurs veuleries, leurs faiblesses mais aussi leur courage, font de l'univers de Kerr un théâtre d'ombres d'une rare subtilité. L'auteur, en osant aborder par le roman noir une période et un lieu dont il est difficile de parler si l'on n'est pas historien, réussit le tour de force de nous plonger dans l'incompréhensible, en nous montrant comment l'indicible peut advenir, comment des hommes a priori ordinaires se retrouvent acteurs d'une tragédie, comment des êtres monstrueux se retrouvent aux commandes d'un pouvoir abominable, comment des idées a priori impensables peuvent devenir l'idéologie dominante. Kerr n'excuse rien, bien au contraire, mais il montre comment des conditions de crise économique et politique peuvent amener un pays hautement civilisé au-delà de la barbarie. Ca fait peur, et pas seulement rétrospectivement...

Le premier volume, L'été de cristal, se déroule en 1936, juste avant les Jeux olympiques de Berlin de sinistre mémoire. Gunther est chargé de résoudre le meurtre de la fille et du gendre d'un riche industriel, morts dans un incendie criminel. Dans ce roman, il perd la femme qu'il aime, Inge, dans des conditions bien troubles.

Le deuxième roman, La pâle figure, se passe en 1938, au moment de la Nuit de cristal. Gunther y a fort à faire puisqu'il doit à la fois résoudre une affaire de chantage, débusquer un tueur en série et faire face à la mort de son partenaire.

Le troisième livre, Un requiem allemand, est situé après la guerre, en 1947, à Berlin mais surtout à Vienne. Berlin en ruines, Vienne en proie à la corruption et aux trafics, aux manoeuvres et aux trahisons. Gunther, que l'on retrouve (mal) marié et plus seul que jamais, est confronté aux prémices de la guerre froide, aux manoeuvres soviétiques... et a bien du mal à faire la part des choses

Gunther est un personnage qui s'apparente aux Philip Marlowe et Sam Spade de la grande époque du roman noir américain : ce n'est pas un héros, mais il défend ses principes. Cousin de Marlowe donc, avec une différence de taille : là où Marlowe se coltine avec de vieux généraux, de vulgaires malfrats et des femmes fatales, Gunther a affaire à des protagonistes nommés Himmler ou Goering... A noter, une scène d'anthologie où le détective passe un moment chez rien moins que Goering, occupé à câliner son lionceau préféré...

Quant au style de Kerr, il est précis et délectable. Là encore, un peu de Chandler dans sa capacité à trouver la comparaison qui tue, la réplique qui fait mouche, l'analogie saisissante. Une virtuosité qui rend les romans faciles à lire malgré la lourdeur et la noirceur du contexte.


Extraits

L'été de cristal
"Un escalier à double volée aux rampes d'un blanc immaculé conduisait aux étages, et du plafond pendait un lustre plus grand qu'une cloche de cathédrale et plus clinquant qu'une boucle d'oreille de stripteaseuse. Je pris mentalement note d'autmenter mes tarifs."
"- (...) Ca fait plus d'un an et demi que je ne l'ai pas vu. Et si jamais vous le trouvez, vous pourrez lui dire qu'il n'a pas intérêt à venir me chercher. Il est aussi bienvenu ici que la queue d'un Juif dans le cul de Goering. Et vous aussi, d'ailleurs.
Ce sont ces petites démonstrations de courtoisie et d'humour délicat qui font tout l'intérêt de ce métier."

La pâle figure

"Je ne suis pas un chevalier blanc. Je suis juste un type usé, debout dans un coin de rue dans son pardessus froissé, avec une vague notion de ce qu'on appelle, osons le mot, Moralité."
"Je sombrai dans le sommeil et mes cauchemars m'emportèrent au grand galop à la rencontre d'hommes-bêtes, de prédicateurs de la mort, de juges rouges et de toute la lie écartée du paradis."

Un requiem allemand

"Avec ses six millions d'habitants, l'Autriche n'était guère plus que le mégot d'un très gros cigare. Et le Ring que j'arpentais étais moins un anneau qu'une couronne funéraire."
"Les Viennois n'aiment rien autant qu'être douillettement installés (...) Je ne me sentais pas mal à l'aise, au contraire. Mais j'éprouvais le même genre de bien-être qu'on doit ressentir après avoir été embaumé, couché dans un cercueil plombé et remisé dans un des mausolées de marbre du cimetière central."

Philip Kerr - La trilogie berlinoise - trois romans traduits de l'anglais par Gilles Berton - Le Livre de poche

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